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Face aux migrations, surfer sur la vague au lieu de la contrer

Les demandes d’asile au Canada auront doublé en 2023 comparativement à 2022, qui brisait déjà des records. À cela s’ajoute un nombre inégalé de travailleurs temporaires au Canada et au Québec. Les visas d’études se multiplient. Les délais pour les parrainages s’étirent, et c’est sans parler de l’immigration économique générée par des dizaines de programmes au fédéral comme au provincial.

Devant l’avalanche de statistiques sur notre démographie en pleine croissance et les déclarations alarmistes de ceux qui brandissent l’épouvantail de la crise sociale, on pourrait vouloir se mettre en petite boule et se refermer sur nous-mêmes. Ce serait une erreur.

Démoniser l’immigration a toujours été l’instrument de prédilection des populistes – jouer sur la peur de l’autre. J’entends Donald Trump qui promet les plus grandes déportations de l’histoire des États-Unis.

Mon souhait (illusoire peut-être) pour 2024 est que nos gouvernements se responsabilisent et se coordonnent intelligemment pour absorber ces étrangers déjà sur notre territoire. Rêve pieux, direz-vous, de voir Québec et Ottawa s’entendre sur ce sujet explosif. C’est pourtant notre avenir qui se joue.

Le juriste spécialiste de la migration François Crépeau, de l’Université McGill, m’explique que cette vague migratoire que nous vivons s’apparente à celle du grand bond démographique de 1910 à 1914, du temps où Ottawa peuplait l’Ouest canadien. Le contexte actuel est très différent, mais il reste qu’il faudrait apprendre à surfer sur cette vague au lieu d’essayer de la contrer. Et le phénomène va bien au-delà du Canada.

Mon souhait (illusoire peut-être) pour 2024 est que nos gouvernements se responsabilisent et se coordonnent intelligemment pour absorber ces étrangers déjà sur notre territoire.

Nous ne sommes pas seuls

Un rapport récent de l’Organisation de coopération et du développement économique (OCDE) confirme que la tendance touche tous les pays occidentaux. En 2022, l’immigration permanente a augmenté de 26 % dans les 38 États membres de l’OCDE : 6,1 millions de personnes de plus, un record.

La population du « sud global » explose. En 2050, un humain sur quatre sera Africain. Et dans nombre de pays répressifs aux économies en lambeaux, la détermination d’une jeunesse éduquée et fébrile est proportionnelle à sa frustration. Les nouveaux moyens technologiques permettent comme jamais de mieux rêver, de s’organiser et de partir.

Le Canada et le Québec sont dans une position privilégiée.

Nous n’avons pas la vulnérabilité géographique ou historique des pays européens ni leur densité de population. De notre côté de l’Atlantique, ce sont les États-Unis qui prennent le plus fort de la vague.

Certes, nous sommes imbriqués dans ce vaste mouvement migratoire. Toutefois, entre deux océans, le Grand Nord et les États-Unis, le Canada peut mieux voir venir. Le pays a l’espace. Notre population vieillit. Le Québec ne fait pas exception à la règle.

Si l’on veut construire de nouvelles centrales électriques, demeurer un joueur économique sérieux, s’occuper de nos personnes âgées, enseigner à nos enfants, il faudra beaucoup plus de bras, de cœurs et de cerveaux.

Bien sûr, les enfants d’immigrants augmenteront le nombre d’élèves dans nos écoles. Les parents s’ajouteront aux listes d’attente des médecins. Mais quand tous les boomers ne seront plus, les rejetons de ces immigrants devenus Canadiens et Québécois assureront la relève.

Un changement de paradigme

« L’absorption de ces nouveaux arrivants est tout à fait soutenable, si évidemment, les gouvernements investissent, soutient François Crépeau. Il faut un changement de paradigme, une volonté politique comme dans les années 60 et 70 quand tous les paliers de gouvernements ont mis la main à la pâte pour construire des infrastructures répondant aux mouvements de population de la campagne à la ville ». La construction d’habitations, par exemple, doit s’arrimer avec la croissance démographique. Je pense à la crise du logement. Une concertation entre le fédéral, les provinces, les municipalités, les entreprises et le communautaire est fondamentale. Et pourtant…

Le Québec a un défi de plus, celui de franciser, mais là aussi des efforts concertés et massifs dans la régionalisation et l’enseignement du français sont possibles avec une volonté politique soutenue. L’inverse, se braquer devant cette immigration déjà chez nous, invite à de très mauvaises surprises.

Le Québec parle de seuils. Il demande à Ottawa de ne pas émettre plus de 60 000 résidences permanentes par année. Mais qu’est-ce que ça veut dire? Nous avons 470 000 travailleurs temporaires au Québec. Ceux d’entre eux qui veulent rester et qui se qualifient aux programmes québécois ne devraient pas être comptabilisés dans ce nombre. Pourquoi? Parce qu’ils sont déjà ici! Ils ont un toit, un emploi, payent des impôts et beaucoup d’entre eux parlent français.

Les conséquences de ces entourloupettes politiques sont considérables. À cause du goulot d’étranglement qu’elles créent à Ottawa, les nouveaux arrivants devront attendre des années avant d’être citoyens à part entière. Le parrainage des membres de la famille perdure de façon inhumaine. Alors, l’accueil se fait mal, et les talents perdent patience et s’en vont. Le Canada a dorénavant une immigration à deux vitesses : celle du Québec et celle du reste du pays. Nous n’imaginons pas à quel point le poids politique de la nation québécoise est menacé.

Et puis, il y a la migration humanitaire, bête noire par excellence du discours de la droite populiste. N’en faisons pas un plat. En 2022, elle représentait à peine un quart de pourcentage de notre population. Si le Québec a reçu plus de demandeurs d’asile qu’ailleurs au Canada (surtout à cause du chemin Roxham), beaucoup quittent la province pour des raisons de langue et d’efficacité administrative notamment.

L’important, ici, c’est d’abord de répertorier qui entre au Canada et d’éviter des situations comme en Europe ou aux États-Unis où les « sans statut » se comptent par millions. Il y avait 70 000 personnes en 2022 qui empruntaient le chemin Roxham. Ce n’était pas parfait, mais on savait qui entrait chez nous. Maintenant, les gens s’immiscent en douce, aidés de passeurs qui font des fortunes. Fermer Roxham n’a pas diminué le nombre de demandes d’asile, ce nombre continue d’augmenter.

La bonne nouvelle, c’est que, malgré toutes ses failles, notre système d’asile invite ces migrants à se dévoiler. Lorsqu’ils demanderont l’asile, ils recevront un permis de travail dans les mois qui suivent et auront une audience au cours des deux années qui suivent leur arrivée devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Ces délais ne sont pas idéals, mais beaucoup mieux qu’aux États-Unis où l’obtention d’un permis de travail peut prendre un an et une audience, cinq ans. Ce sont des incitatifs importants pour sortir de l’ombre.

Un autre incitatif serait le projet du ministre canadien de l’Immigration, Mark Miller, annoncé en décembre dernier, qui consiste à régulariser une partie des centaines de milliers de sans-papiers qui vivent et travaillent illégalement dans le pays. Ici, souhaitons que le Québec ait la sagesse de ne pas le saboter.

Garder des gens dans la précarité n’aide ni le Québec ni le Canada. À refuser de les voir, ils resteront dans la pauvreté. Nous raterons ainsi leur intégration et celle de leurs enfants. Nous créerons des ghettos, et c’est ça qui est dangereux. Il ne tient qu’à nous de faire autrement.

Article rédigé par:

Avocate et journaliste
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