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La diplomatie scientifique, nouvelle déclinaison de la diplomatie d’influence

Le développement accéléré de la science au cours des vingt dernières années est plutôt remarquable. Ces progrès sont le fruit d’efforts nationaux mais surtout de la coopération scientifique internationale. Un concept a émergé de cette histoire récente, celui de diplomatie scientifique, nouvelle déclinaison de la diplomatie d’influence.

Les nombreuses initiatives mises de l’avant par les acteurs de cette nouvelle discipline insistent sur le renouvellement des pratiques diplomatiques en faisant une large place à l’influence de la science et des scientifiques dans le but d’inspirer les décideurs politiques, les organisations multilatérales et les diplomates. Il en est de même pour les diplomates qui peuvent faire la différence dans la mise en commun d’infrastructures de recherche et le maillage des connaissances. Ce serait donc un euphémisme d’avancer que le tandem diplomatie et science peut sauver la planète.

La diplomatie scientifique tire sa légitimité de l’interaction de trois groupes d’acteurs importants : les universités et institutions de recherche, les gouvernements et les diplomates.

Les universités

La mobilité étudiante, celle des chercheurs, les partenariats en recherche, les grandes rencontres des associations scientifiques ainsi que les associations de diplômés (alumnis) font la démonstration que c’est en traversant les frontières, en nouant des relations professionnelles, institutionnelles et personnelles, qu’on ouvre le dialogue et qu’on bénéficie des retombées de la diversité et des différences nationales sous toutes ses formes.

À l’automne 2023, les universités québécoises recensaient près de 60 000 étudiants étrangers. À cela s’ajoutent les milliers d’étudiants québécois qui vont parfaire leur éducation dans des universités ou centres de recherche à l’étranger et les centaines d’ententes ou d’accords de partenariat en recherche qui lient le Québec à près d’une centaine de pays sur tous les continents. Dans les pays de la francophonie, on retrouve des diplômés d’universités québécoises dans les conseils des ministres, la haute fonction publique, les ambassades et les grandes institutions ou entreprises.

Les ministères et organismes gouvernementaux

Au Québec et au Canada, nous avons le privilège de légitimer notre pratique de la diplomatie scientifique par l’action du Scientifique en chef. Par son action internationale à travers l’International Network for Governmental Science Advice (INGSA) et par la multiplication de programmes collaboratifs de recherche liés aux trois grands fonds de recherche (FRQ), le Scientifique en chef du Québec permet par exemple de rapprocher chercheurs palestiniens et israéliens et de donner l’asile à des chercheurs ukrainiens et russes qui veulent s’affranchir de la démagogie des conflits. Les actions structurantes sur l’usage responsable de l’intelligence artificielle, par exemple, procurent une vitrine inestimable au Québec sur la scène internationale. Outre ces initiatives du Scientifique en chef, l’action gouvernementale s’incarne également par les politiques et programmes mis en place dans les ministères canadien et québécois qui chapeautent l’innovation.

Les diplomates

Enfin les ministères responsables des relations internationales, Affaires mondiales Canada (AMC) et ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF), priorisent certains territoires et certaines actions de diplomatie scientifique par le biais de ce que l’on appelle les commissions mixtes de coopération en mettant des enveloppes budgétaires à la disposition des chercheurs et en favorisant la mobilité. Ces ministères déploient également un aréopage d’attachés commerciaux qui voient à la stimulation du commerce, des flux de capitaux entre les États, incluant les activités liées aux enjeux scientifiques. Dans des cas particuliers comme en France, au Royaume-Uni et à Bruxelles, le MRIF a créé des postes d’attachés scientifiques qui sont dédiés entièrement à promouvoir la coopération scientifique internationale.

Le Canada a également ce type de dispositif en Allemagne par exemple. 

Le Québec s’est avéré avant-gardiste en créant des postes de scientifiques en résidence qui sont comblés par des jeunes scientifiques de la relève et qui viennent prêter main-forte à une dizaine de postes diplomatiques du Québec à travers le monde. Certains postes diplomatiques prennent également des initiatives qui leur sont propres en fonction des spécificités de leur territoire. 

 

Le Scientifique en chef du Québec permet par exemple de rapprocher chercheurs palestiniens et israéliens et de donner l’asile à des chercheurs ukrainiens et russes qui veulent s’affranchir de la démagogie des conflits.

Les défis liés à la diplomatie scientifique

Le foisonnement d’initiatives des acteurs de la diplomatie scientifique fait cependant émerger un certain nombre de défis liés à la coopération, aux valeurs, à la langue et à la solidarité.

Le premier défi est de reconnaître les limites de la coopération. Experts et chercheurs associent souvent la diplomatie scientifique à la coopération scientifique pour le bien commun. Vaincre les pandémies, lutter contre la sous-alimentation, protéger la biodiversité, combattre le réchauffement climatique ou réguler les flux migratoires sont de nobles ambitions liées aux objectifs universels de développement durable des Nations unies (ODD). Mais au-delà de cette coopération il y a également la compétition, celle entre universités, entre le secteur privé et le secteur public de la recherche, entre la recherche libre et la recherche orientée. Il y a également la compétition entre les États qui veulent conserver des avantages compétitifs dans le contexte de la concurrence entre les nations. On l’observe également dans le contrôle des industries militaires où la coopération scientifique est détournée à des fins qui ne se marient pas nécessairement avec le bien commun. On peut même parler de spoliation quant un pays ou un régime se voit sanctionner par l’interdiction de relations diplomatiques sur le plan scientifique pour des raisons d’espionnage, de vols de secrets industriels ou de vol de brevets.

Le deuxième défi est de faire cohabiter des univers qui ne se nourrissent pas nécessairement des mêmes valeurs. Le monde universitaire et scientifique carbure au principe de la liberté académique et de l’indépendance intellectuelle. Quant au monde diplomatique, il carbure au principe de l’intérêt national voire de la sécurité nationale. Il arrive souvent que l’intérêt national soit complémentaire au bien commun surtout en ce qui a trait à la mobilisation internationale face aux grands défis planétaires. La lutte à la pandémie de COVID 19 en est un bon exemple. Mais il se peut également que l’intérêt national soit davantage conditionné par le bien-être de ce qui se passe à l’intérieur de ses frontières, que ce soit pour des raisons commerciales, identitaires ou de sécurité. La « diplomatie des masques et des vaccins » pendant la pandémie s’est quelque fois détourné du bien commun au profit de l’intérêt national. Bref, les acteurs de la recherche ont tendance à être suspicieux et ne veulent pas être instrumentalisés par le « politique ».

Le troisième défi est celui de l’hégémonie de la langue dans le monde scientifique. Il n’est pas tout à fait caricatural d’avancer qu’aujourd’hui, tout est « anglais » dans le monde des sciences. Mais au même titre que le Québec a récemment décidé de se battre pour la découvrabilité des contenus culturels, le Scientifique en chef du Québec et l’ACFAS ont décidé de se battre pour la découvrabilité et la production de contenus scientifiques en français. On a récemment assisté à la création d’un pendant francophone de l’INGSA, le Réseau francophone international en conseil scientifique (RFICS). Cette initiative vient rejoindre également la volonté de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) afin de promouvoir la diplomatie scientifique et le plurilinguisme en sciences dans l’espace francophone. Il en va du respect des différences et de la diversité en diplomatie.

Finalement, le défi de la diplomatie scientifique en est également un de solidarité internationale. La science et ses bénéfices sont souvent dirigés par et pour les pays industrialisés et les pays du nord. On observe en plus un refroidissement si ce n’est une désertification des relations diplomatiques et de la coopération avec la Russie et la Chine. Le fait de tourner le dos à ces pays n’est pas sans avoir des impacts sur le futur, sur notre compétitivité nationale et sur l’équilibre des forces dans un monde qui se veut plus multipolaire. Et que dire de la coopération scientifique avec le Grand Sud. La diplomatie scientifique et ses avancées deviennent une opportunité pour redéfinir la solidarité internationale en sciences avec des continents comme l’Afrique et avec des espaces linguistiques comme l’hispanophonie, la lusophonie et l’arabophonie.

Le Québec et le Canada, qui revoient présentement leur politique de relations internationales, doivent s’inspirer des initiatives en cours à l’UNESCO, à la Commission européenne, à l’INGSA et à l’American Association for the Advancement of Science (AAAS), entre autres, afin de positionner la diplomatie scientifique comme levier de la diplomatie d’influence.

Signe encourageant, les Fonds de recherche du Québec ont l’intention de créer un réseau de chaires de recherche en diplomatie scientifique.

Article rédigé par:

Professeur associé, HEC Montréal
Les opinions et les points de vue émis n’engagent que leurs auteurs et leurs autrices.