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Diplomatie, influence ou ingérence ?

On entend souvent parler indistinctement de l’influence et de l’ingérence étrangère, ainsi que de la ligne grise entre diplomatie et ingérence.

À l’heure où les activités étrangères au pays suscitent une enquête nationale, des tensions diplomatiques et des débats quant aux mesures que le Canada devrait instaurer pour se protéger, il importe de distinguer entre ces notions et surtout entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est légal et ce qui devrait être réprimé par la loi.

Il ne s’agit pas ici que d’un débat sémantique. Une position claire sur ces distinctions critiques entre diplomatie, influence et ingérence peut aider à guider nos activités de renseignement, nos réponses politiques et diplomatiques, ainsi que notre cadre juridique.

Qui plus est, ces enjeux ne se limitent pas qu’aux institutions de l’État, comme on l’envisageait auparavant. Le milieu économique, le milieu académique et la société civile sont de plus en plus confrontés à l’ingérence ainsi qu’à l’espionnage, ce qui les amène à des choix parfois difficiles et controversés quant à la liberté d’expression et aux relations qu’ils entretiennent avec des entités étrangères.

Tentons d’y voir un peu plus clair.

Diplomatie

Soulignons d’entrée de jeu qu’il n’y a pas de définition universellement acceptée ni de la diplomatie ni de l’ingérence étrangère.

En ce qui touche la diplomatie, nous pouvons avancer ce qui suit :

La diplomatie comprend l’ensemble de moyens pacifiques déployés par un gouvernement pour promouvoir ses objectifs et défendre ses intérêts sur la scène internationale, en tentant d’influencer les positions, décisions et actions d’autres acteurs.

On entend ici par gouvernement non seulement un gouvernement national, mais aussi les gouvernements infranationaux comme les états fédérés, provinces et villes. On peut également ajouter les organisations internationales intergouvernementales, comme l’ONU.

Les moyens utilisés se doivent d’être légitimes, transparents et pacifiques, tels le dialogue, l’information, la persuasion, les négociations, les alliances, le recours au droit international. En dernier ressort, la pression, la coercition (p. ex. les sanctions économiques) et la menace d’utilisation de la force font également partie de la boîte à outils de la diplomatie, mais pas l’usage de la force comme tel, ni l’espionnage.

La diplomatie est l’instrument privilégié pour la mise en oeuvre de la politique étrangère d’un gouvernement. Mais ce n’est pas le seul mécanisme d’influence étrangère.

 

Influence

Comme nous l’avons vu ci-haut, l’influence est inhérente à la diplomatie.

Soulignons par ailleurs que l’influence étrangère ne résulte pas exclusivement d’une action délibérée des gouvernements, mais aussi de l’action diffuse d’acteurs non gouvernementaux. Le pouvoir économique, le rayonnement intellectuel et culturel, l’image projetée par un pays, certains de ces éléments étant parfois regroupés sous le vocable de soft power, sont autant de vecteurs d’influence. Pensons par exemple à l’influence de la culture américaine sur la société canadienne.

L’influence exercée de cette façon est légitime, et nous devons composer avec celle-ci dans le cours normal des choses. Par contre, dans une autre catégorie, l’espionnage, l’ingérence ainsi que la force militaire sont d’autres moyens d’influencer, de contraindre et surtout de porter préjudice.

Il est ainsi possible de distinguer l’influence qui s’exerce de façon légitime, comme par le biais de la diplomatie, de celle qui est répréhensible et s’exerce notamment par l’ingérence, intolérable, celle-là.

Ingérence

Le Canada et plusieurs autres pays ont adopté diverses définitions de l’ingérence, desquelles on peut extrapoler l’essentiel. Le type d’activité dont il est question ici possède généralement au moins l’une des caractéristiques suivantes, et le plus souvent les deux: d’une part un caractère non transparent, et d’autre part une intention malveillante.

On peut ainsi concevoir l’ingérence comme une intervention clandestine et trompeuse de la part d’un État ou entité étrangère ayant une intention hostile envers un pays tiers, visant notamment à influencer les processus décisionnels et l’élaboration de politiques, ou saper les institutions et la société de celui-ci.

Le tout au détriment des intérêts légitimes du pays visé, au profit des intérêts stratégiques de l’agresseur. Parmi les moyens utilisés aux fins d’ingérence : utiliser des tierces parties, à leur insu ou non ; avoir recours à des fausses représentations (incluant des trolls sur les médias sociaux) ; avoir recours à la désinformation, à la menace, au chantage, au financement illicite, à la corruption, à la manipulation, à des moyens illégaux; s’immiscer clandestinement dans les processus et institutions politiques.

Une position claire sur ces distinctions critiques entre diplomatie, influence et ingérence peut aider à guider nos activités de renseignement, nos réponses politiques et diplomatiques, ainsi que notre cadre juridique.

Des distinctions conséquentes

Une campagne de la part d’un pays étranger visant à influencer une prise de position du Canada et qui se fait par des démarches de représentants bien identifiés auprès de décideurs canadiens bien avertis, le tout accompagné par une campagne d’information publique, sera ainsi reconnue comme une activité diplomatique. Il s’agit ici d’une forme d’influence acceptable, tout comme le Canada tente d’influencer par le biais de sa propre diplomatie.

Par contre, si des agents au service de ce même pays camouflent leur identité et leurs intentions, et ont recours à des moyens illégitimes, on parlera d’ingérence, que nous ne pouvons tolérer et que nous devons réprimer. Une position claire sur ces enjeux peut nous aider à réagir de façon appropriée à ces diverses formes d’influence.

Au sein même de l’appareil gouvernemental fédéral, un effort en ce sens est requis. Si la Loi sur le Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS) énonce une définition un peu générale de l’ingérence, diverses communications gouvernementales1 en donnent différentes explications. Il y a lieu de clarifier et d’harmoniser notre conception de l’ingérence étrangère.

La réflexion annoncée quant à d’éventuelles réformes du droit en matière d’ingérence étrangère est bienvenue. Parmi les lois à considérer : le Code criminel, la Loi sur la protection de l’information, la Loi sur la preuve au Canada, auxquelles il faut ajouter la Loi sur le SCRS ainsi que la Loi sur les élections. La Commission sur l’ingérence étrangère, dont l’un des mandats est de recommander des moyens de renforcer la protection des processus démocratiques, offre aussi la possibilité d’une réflexion sur le sujet.

Au final, espérons que ces démarches sauront clarifier ce qui est acceptable de ce qui le ne l’est pas, ce qui doit demeurer légal dans une société démocratique et ce qui doit être défini comme illégal. Le tout afin que les différents acteurs gouvernementaux canadiens soient bien orientés dans l’exécution de leur mandat et dans l’élaboration de nouveaux instruments à mettre en place, tel un registre d’agents étrangers. De même, les agents étrangers, dont les diplomates, sauront à quoi s’en tenir, ou sinon ce à quoi ils s’exposent.

Enfin, les Canadiens de tous les milieux, notamment ceux de milieux souvent ciblés par l’ingérence et l’espionnage, tels le milieu économique, le milieu académique, le monde de la recherche et la diaspora, bénéficieraient d’une meilleure orientation et d’un appui en la matière.

 

1- Vous pouvez aussi consulter ce lien

Article rédigé par:

Fellow à l’Institut d’études internationales de Montréal
Les opinions et les points de vue émis n’engagent que leurs auteurs et leurs autrices.