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Le Sud global n’est pas acquis à la Chine

L’image en première page d’un quotidien chinois récemment était saisissante : le président chinois Xi Jinping au premier plan, marchant devant des représentants de dizaines de pays derrière lui s’apprêtant à participer au troisième forum des Nouvelles routes de la soie. De là à penser que la planète entière s’aligne derrière la Chine, il n’y a qu’un pas que la propagande chinoise aimerait bien que l’on franchisse.

Nul doute que l’initiative des Nouvelles routes de la soie a été d’une envergure exceptionnelle : la Chine a décaissé environ mille milliards de dollars au cours de la dernière décennie pour de grands projets d’infrastructure déployés sur plusieurs continents.

Réunir à Beijing plus de 130 pays autour d’une initiative nationale est une démonstration de force. Mais faut-il en conclure que ceux-ci se rangent désormais du côté la Chine ? Loin de là.

Tout ne roule pas rondement sur la route. Si de nombreux pays étaient présents, en majorité provenant de ce que l’on désigne désormais comme le Sud global, une certaine grogne se manifeste. D’une part, plusieurs pays bénéficiaires ont été plongés dans une crise d’endettement, et la Chine ne fait pas de cadeau lorsqu’il devient nécessaire de renégocier les termes de remboursements de prêts. D’autre part, la pertinence, la qualité et la viabilité financière de plusieurs projets en ont laissé plusieurs pantois. Enfin, la manne d’investissements attendue n’est parfois pas au rendez-vous pour certains pays.

Soulignons d’ailleurs que seuls 23 chefs d’État et de gouvernement ont participé au sommet, comparativement à 37 lors du sommet précédent en 2019.

C’est ainsi que l’initiative est en train de s’essouffler. D’ailleurs la Chine, même si elle a tiré profit de celle-ci, notamment par un accès accru à des ressources naturelles, est présentement moins disposée à décaisser des sommes aussi considérables alors que sa propre économie encourt des ratés. Il y a quelques années, la Chine y consacrait environ 100 milliards de dollars annuellement; aujourd’hui, les déboursés annuels ont considérablement diminué. L’Afrique est particulièrement touchée.

Le président Xi a bien promis un autre 100 milliards de dollars pour l’ensemble du programme, mais sans préciser sur combien d’années. Qui plus est, on se concentrera désormais sur des projets de plus petite envergure, incluant la formation, des initiatives vertes et le numérique.

En fait, de nombreux pays du Sud ne veulent pas faire un choix entre les États-Unis et la Chine et sont réticents à se voir subjuguer à une grande puissance plutôt qu’à une autre.

Un monde multipolaire

Il va de soi que la Chine s’est bien positionnée, au plan économique et géopolitique, grâce aux Nouvelles routes de la soie. Et l’empire du milieu s’affirme sur la scène internationale.

Son discours à l’effet qu’il y a une alternative à l’ordre libéral international mené par les États-Unis et son appel à un monde multipolaire résonnent certes auprès de nombreux pays du Sud, frustrés par l’ordre mondial actuel. Mais est-ce que ces mêmes pays sont prêts pour autant à souscrire au leadership de la Chine ? Rien n’est moins sûr.

En fait, de nombreux pays du Sud ne veulent pas faire un choix entre les États-Unis et la Chine et sont réticents à se voir subjuguer à une grande puissance plutôt qu’à une autre. Ils vont plutôt tenter, avec pragmatisme, de tirer les bénéfices qu’ils peuvent de l’un ou de l’autre en fonction de leurs intérêts.

A témoin les pays d’Asie du Sud-Est, qui jouissent de relations commerciales approfondies avec la Chine tout en étant confortés par la présence militaire américaine dans la région. Qui plus est, d’autres pays d’envergure tentent aussi d’exercer un certain leadership auprès des pays du Sud, tels l’Inde et le Brésil.

De nombreux pays continueront ainsi d’adhérer aux Nouvelles routes de la soie afin d’en récolter ce qu’ils peuvent. La Chine, de son côté, continuera à instrumentaliser ce programme phare à des fins économiques et géopolitiques, bien qu’à moins grande échelle.

Le Canada et les pays occidentaux

La Chine, bien qu’elle y ait tissé des liens et y exerce une influence indéniable, n’a pas pour autant « gagné » la bataille pour le Sud. Si elle impose le respect et sait offrir des opportunités économiques, la république populaire suscite également une certaine méfiance.

Quant aux pays occidentaux, leur réputation souffre d’une perception négative eu égard à la position dominante qu’ils occupent dans l’ordre international et au « double standard » dont ils font souvent preuve dans l’application de leurs nobles principes. Le conflit entre Israël et le Hamas ajoute une couche de complexité à cet égard.

Dans un tel contexte, il appartient aux États-Unis et aux pays occidentaux, dont le Canada, de déployer une diplomatie actualisée et de répondre adéquatement aux besoins et intérêts des pays du Sud s’ils veulent se positionner avantageusement dans ce nouveau monde.

Les programmes d’infrastructure mondiale lancés par les États-Unis, l’Europe ainsi que le G7, le renouveau de l’engagement américain en Afrique tout comme le sommet tenu par la Maison Blanche avec le Forum des Îles du Pacifique sont des pas en ce sens.

Du côté canadien, le récent Sommet Canada-CARICOM, axé sur les changements climatiques et la sécurité, ainsi que la participation du premier ministre au Sommet des dirigeants du Partenariat des Amériques pour la prospérité économique, génèrent des opportunités de resserrer des liens avec des voisins continentaux.

Lors d’un discours prononcé récemment à la tribune du CORIM, la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly préconisait d’ailleurs une politique étrangère plus « pragmatique », ouvrant ainsi la porte à un engagement international plus diversifié, tel qu’en fait foi l’ouverture d’ambassades au Rwanda et aux Fidji pour les îles du Pacifique.

Encore faudra-t-il traiter les pays du Sud comme de réels partenaires sur des enjeux d’intérêt commun, tel le développement économique et les défis environnementaux, plutôt que comme des pions dans un grand jeu de compétition géopolitique.

Article rédigé par:

Fellow à l’Institut d’études internationales de Montréal
Les opinions et les points de vue émis n’engagent que leurs auteurs et leurs autrices.

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