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Poutine tente de bâtir de nouvelles alliances

Ça faisait longtemps qu’on avait vu Vladimir Poutine aussi détendu qu’en ce 13 septembre 2023, à Vostochny Cosmodrom, dans l’extrême est russe, alors qu’il serrait la main du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un arrivé en train blindé de Pyongyang. « Le sommet des parias » ont titré de nombreux médias occidentaux. Non sans raison.

Ce fut en tout cas un extraordinaire pied-de nez à pratiquement toute la communauté internationale. Deux puissances nucléaires, soumises à d’innombrables sanctions pour le non-respect des normes, lois et règles internationales qui, sans l’annoncer ouvertement, se préparent à une coopération dans le domaine militaire et spatial, c’est un symbole fort.

Mais la rencontre est loin d’avoir été uniquement un symbole. Même si la mise en scène a été millimétrée, même si le sommet avait lieu dans un endroit hautement significatif pour Vladimir Poutine. Un cosmodrome ultra-moderne, son bébé, qui devrait dans l’avenir remplacer celui de Baïkonour, situé aujourd’hui hors des frontières de la Russie, au Kazakhstan. Même s’il s’agissait d’un pied-de-nez comme les aime le maître du Kremlin: vous avez essayé de m’humilier en m’excluant de vos rencontres internationales, en m’imposant des sanctions toujours plus sévères…j’ai plus d’un tour dans mon sac. Regardez-moi aller, je suis le plus fort.

Embourbé en Ukraine

Embourbé dans une « opération spéciale » en Ukraine qui, au lieu de durer quelques jours, s’est transformée en une guerre de longue durée, mis au banc des nations par tout le monde occidental, Vladimir Poutine a besoin non seulement de nouvelles alliances ou alliances renouvelées. Il a besoin de munitions, d’équipements militaires et même de main d’œuvre, car les pertes humaines sur le front ukrainien ont fini par dégarnir le complexe militaro-industriel russe qui manque de travailleurs. Il a commencé à recruter en Corée du Nord. La Russie est arrivée au bout de ses stocks de munitions et elle a perdu 75% de ses chars. Kim Jong-un quant à lui a besoin de technologie, surtout dans le domaine spatial et nucléaire. Il a aussi besoin de denrées alimentaires pour nourrir sa population. Et des armes, des munitions même des chars, il en a … à revendre. Voilà donc une situation gagnant-gagnant pour les deux dirigeants autocrates.

Que la stabilité et la sécurité mondiale soit plus que jamais compromise par cette nouvelle lune de miel entre deux puissances nucléaires (la Russie comme tous les autres membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU a pourtant voté pour la résolution 1718 enjoignant la Corée du nord de cesser tout essai nucléaire ainsi que pour tous les trains de sanctions qui ont suivi…jusqu’en 2022!), ça n’a échappé à personne. Certainement pas à Vladimir Poutine qui fait ici sauter un verrou nucléaire de plus.

La Russie isolée

Le rendez-vous du Vostochny Cosmodrome démontre surtout l’isolement de la Russie sur la scène mondiale, isolement qui chaque jour se confirme un peu plus. La propagande made in Moscou a beau soutenir que la majorité de la population de la planète n’a pas condamné la guerre en Ukraine ou l’annexion officielle par la Russie des territoires ukrainiens, faisant référence aux pays qui se sont abstenus ou qui ont voté contre les différentes résolutions de l’ONU qui allait dans ce sens. Mais peut-on vraiment dire que la population chinoise est pour l’annexion des territoires ukrainiens par Moscou alors qu’elle n’a jamais élu démocratiquement ses dirigeants?

Le fait est qu’aujourd’hui, vote après vote, la vaste majorité des pays membres de l’ONU (141 sur 193) condamne l’invasion russe en Ukraine et exige le retrait immédiat de la Russie des territoires ukrainiens. À cela s’ajoute la décision de la Cour pénale internationale qui, en mars dernier, a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Il est accusé de crime de guerre pour le transfert illégal d’enfants de l’Ukraine occupée vers te territoire de la Fédération de Russie.

Vladimir Poutine a besoin non seulement d’alliances, il a besoin de munitions, d’équipements militaires et même de main d’œuvre, car les pertes humaines sur le front ukrainien ont fini par dégarnir le complexe militaro-industriel russe qui manque de travailleurs.

C’est ainsi qu’après des tergiversations qui ont duré quelques semaines, le président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, a poussé un soupir de soulagement quand Vladimir Poutine a décidé de se faire remplacer par son Ministre des affaires étrangères au sommet des BRICS à Johannesburg à la fin du mois d’août dernier. Il se trouve que l’Afrique du sud qui a adopté une attitude de « non-alignée » et s’est abstenue lors des différents votes de l’ONU condamnant la Russie, est également signataire du statut de Rome qui a institué la CPI. Ramaphosa avait le choix : arrêter Vladimir Poutine s’il s’était présenté à Johannesburg ou se retirer de la CPI. Le fidèle Sergei Lavrov, ministre des affaires étrangère de Poutine depuis bientôt 20 ans, a donc remplacé ce dernier sur la photo de famille où on retrouve les mêmes têtes qu’au dernier sommet pré-covid des BRICS en 2019. Les mêmes, Modi, Xi, Ramaphosa…exception faite pour le Brésil où, après un transfert démocratique des pouvoirs, Lula a remplacé Bolsonaro.

Serguei Lavrov a repris son bâton de pèlerin et a remplacé également son patron au sommet de G20 à New Deli en Inde au début septembre de cette année. Pourtant, là il n’y avait aucun danger pour Poutine de se faire arrêter, l’Inde ne faisant pas partie de la CPI. Avait-il peur de quitter la Russie après le coup d’État avorté d’Evgenii Prigojine qui l’a tout de même mis à mal en juin dernier, malgré que ce dernier ne soit plus de ce monde? N’avait-il pas envie de rencontrer tous ses dirigeants qui, avec Biden en tête, condamnent son invasion militaire de l’Ukraine depuis 19 mois? Bien malin qui peut le dire avec certitude, tant ce pouvoir est opaque.

Toujours est-il que Vladimir Poutine est de plus en plus persona non grata sur la scène internationale. Quel contraste avec son ennemi juré, Volodymyr Zelenski qui est accueilli en héros dans l’une après l’autre les capitales du monde.

Espoir avec l’Afrique?

Même le Sommet Russie-Afrique, une initiative de Poutine qui a commencé cette opération-charme à l’endroit du continent africain en 2019 à Sotchi, n’a pas été un véritable succès, malgré l’image qu’il voulait donner, celle de « business as usual », nonobstant la guerre. À Saint-Pétersbourg, au mois d’août, seulement 17 chefs d’États africains se sont déplacés contre 43 il y a quatre ans. La guerre en Ukraine y est pour beaucoup, puisque la grande majorité des 55 pays membres de l’Union africaine (39 ont voté contre la Russie à l’ONU) a condamné la Russie, les autres se sont abstenus. Mais pas seulement. La Russie a fait miroiter de grandes promesses au pays africains en 2019. Très peu ont été réalisées.

Il y a quatre ans Poutine promettait qu’il allait doubler le commerce avec le continent en cinq ans, le portant à 40 milliards de dollars. Au lieu de cela, les échanges se sont rétrécis et ne représentent aujourd’hui que 14 milliards de dollars annuellement. En plus, la Russie exporte sept fois ce qu’elle importe de l’Afrique et 70% de ses échanges se limitent à quatre pays seulement : l’Égypte, l’Algérie, le Maroc et l’Afrique du Sud. Qui plus est, la Russie investit très peu en Afrique qui ne représente que 1% à 2% de ses investissements étrangers.

La Russie exporte en Afrique ce qu’elle sait faire le mieux : la guerre et la désinformation. Moscou et les paramilitaires qu’elle adoube fournit la protection à un nombre grandissants de régimes dictatoriaux ou issus de putsch militaires. D’ailleurs, l’indice de démocratie moyen dans les pays africains où la Russie intervient est bien en-dessous de la moyenne continentale (19 contre 51 selon Freedom House). Et en ce sens, le continent africain représente pour Vladimir Poutine une scène internationale de premier choix où il peut concurrencer l’Occident. Depuis le début du conflit en Ukraine, Serguei Lavrov a fait pas moins de huit visites en Afrique!

La lune de miel avec la Corée du Nord, dont le moment fort a été la visite de Kim Jong-un en Russie, joue le même rôle. Pour Vladimir Poutine, bâtir des alliances dont le but premier est un bras d’honneur à l’Occident, est primordial.

Article rédigé par:

Journaliste indépendante
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