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Les réseaux sociaux au cœur de l’exercice de la diplomatie

Depuis quelques années, les réseaux sociaux se sont imposés comme le moyen de communication privilégié des gouvernements. La tendance est la même pour la communication diplomatique. Les États utilisent de plus en plus les réseaux sociaux pour atteindre des objectifs de politique étrangère.

La e-diplomatie est même devenue en quelques années l’outil le plus important de la diplomatie publique. Ce dernier concept représente l’art de communiquer d’un gouvernement pour renforcer sa capacité à façonner l’agenda public international par la persuasion. La diplomatie publique s’adresse aussi aux individus, plutôt qu’uniquement aux gouvernements.

L’ampleur du phénomène

À partir d’une analyse des sites Internet des ministères des Affaires étrangères des 193 pays membres des Nations Unies, nos recherches indiquent qu’à quelques exceptions près (la Corée du Nord, les Comores, la République du Congo, le Laos, Brunei, Cap-Vert) tous les ministères des Affaires étrangères disposent d’un site web et sont actifs sur au moins un réseau social que ce soit X (auparavant Twitter), Facebook, YouTube, Instagram, Flickr, Snapchat ou Telegram par exemple.

Cette transformation est rapide puisque les réseaux sociaux sont des inventions relativement récentes : Facebook a été lancée en février 2004, YouTube en février 2005, Twitter en mars 2006 et Instagram en octobre 2010.

Ces derniers sont également très populaires. Facebook compte environ 2,9 milliards d’utilisateurs dans le monde, contre 2.6 milliards pour YouTube, 1.2 milliard pour Instagram et WeChat, 569 millions pour Snapchat, 550 millions pour Telegram et 433 millions pour X . Difficile pour les ministères des Affaires étrangères de se priver de ces moyens de diffusion.

Les pionniers

Le premier ministère des Affaires étrangères qui a mis sur pied une équipe dédiée à la e-diplomatie a été le département d’État américain. En effet, la Taskforce on eDiplomacy a été mise en place dès 2002, c’est-à-dire avant même l’apparition des réseaux sociaux. Sa création a fait suite aux attentats du 11 septembre 2001 et répondait à la nécessité pour la diplomatie américaine de devenir plus proactive. De nos jours, le département d’État compte 25 sections dédiées à la e-diplomatie avec plus de 1 000 employés. Le département d’État utilise les réseaux sociaux pour suivre les informations publiées en ligne afin d’ajuster ses propres messages en conséquence. Il analyse les messages sur X dans plus d’une centaine de langues par exemple.

Le département d'État américain utilise les réseaux sociaux pour suivre les informations publiées en ligne afin d’ajuster ses propres messages en conséquence. Il analyse les messages sur X dans plus d’une centaine de langues par exemple.

Et ailleurs dans le monde?

Nos recherches ont également déterminé que le réseau social le plus populaire est X, qui est également le réseau social le plus suivi par les journalistes. Ce dernier est utilisé par 91% des ministères des Affaires étrangères, contre 86% pour Facebook, 54% pour YouTube, 48% pour Instagram, 21% LinkedIn, 18% Flickr, et un maigre 7% pour Telegram, un réseau social russe.

Du point de vue des langues les plus utilisées sur ces plateformes l’anglais domine, avec 147 ministères des Affaires étrangères qui communiquent dans cette langue, soit 80% des pays. Même si l’anglais domine, à noter que 24% des pays ont aussi des comptes en français, la seconde langue la plus populaire, suivi de l’espagnol et de l’arabe avec 16%, du russe avec 6%, de l’allemand et du portugais avec 4%.

Fait surprenant, il existe une quarantaine de ministères qui ne communiquent pas ou très peu en anglais. En Afrique francophone, par exemple, plusieurs pays ne communiquent typiquement que dans la langue de Molière. C’est le cas également pour la Principauté de Monaco.

Dans le cas de pays d’Amérique latine, ces derniers tendent à communiquer essentiellement en espagnol. Plusieurs pays lusophones utilisent rarement l’anglais. Il est en fait assez banal que des pays communiquent essentiellement dans leur langue nationale. Cette situation est intéressante, car elle confirme, si besoin est, que la diplomatie publique vise aussi très largement les citoyens des pays en question et pas simplement les diplomates étrangers.

Les pays les plus suivis

Lorsqu’on analyse le nombre d’abonnés par pays sur les quatre principales plateformes utilisées (X, Facebook, Instagram et YouTube) on constate que les États-Unis sont – et de loin – le pays le plus populaire. L’Inde, premier pays en termes de population dans le monde, arrive seconde sur Facebook et Instagram en plus d’être 4e sur X.

À noter que la Chine est complètement absente du palmarès en raison de sa politique de censure des réseaux sociaux occidentaux. Le ministère chinois des Affaires étrangères ne répertorie aucun des réseaux sociaux occidentaux sur son site Internet qui est par ailleurs accessible en cinq langues en plus du mandarin (anglais, français, espagnol, russe et arabe). Le ministère est cependant présent sur Weibo et WeChat, deux réseaux sociaux chinois. Le ministère compte environ 8 millions d’abonnés sur Weibo (ce qui est 1,6 million d’abonnés de plus que les États-Unis sur X) où il a posté près de 19 000 publications. L’information n’est pas disponible pour WeChat.

Et les chefs d’État ?

Cela dit, il n’y a pas que les ministères des Affaires étrangères qui comptent sur la question de la e-diplomatie. Les chefs d’État les plus populaires (Modi, Biden, Trudeau, Macron…) ont typiquement plus d’abonnés sur X par exemple, que le ministère des Affaires étrangères de leur pays.

Selon l’édition 2023 de Twiplomacy, les chefs d’État les plus influents (pas nécessairement celui qui a le plus d’abonnés) sur X sont en première position, Narendra Modi, suivi par Joe Biden et du président turc Erdogan et ses 21 millions d’abonnés.

Fait intéressant, le président chinois Xi Jinping et le président russe, Vladimir Poutine ne sont pas dans le top 50 des personnes les plus influentes sur X. Le compte du président Poutine, rarement utilisé, se situe juste en dehors du top 50, alors que le président Xi n’a pas de compte. Les deux dirigeants utilisent des comptes gérés par leur gouvernement sur des plateformes nationales étroitement surveillées.

Réseaux sociaux et désinformation

L’effet le plus négatif des réseaux sociaux repose sur le fait de plus en plus documenté que plusieurs États ont utilisé cet outil pour propager systématiquement de la désinformation et s’immiscer ainsi dans les questions nationales d’autres États, en influençant l’opinion des citoyens afin de servir leurs propres intérêts et d’atteindre certains de leurs objectifs de politique étrangère. Pensons à la propagande russe lors des élections de 2016 aux États-Unis, lors de la guerre en Ukraine ou encore à la propagande chinoise à Taiwan pendant l’élection de janvier 2024.

La désinformation n’est pas seulement le propre de pays autoritaires. Pendant sa présidence, Donald Trump a également été un très grand producteur de « fake news » notamment pendant la renégociation de l’ALENA. Afin de contrer la désinformation provenant de la Maison Blanche, Affaires mondiales Canada a même développé une campagne de e-diplomatie qui visait à diffuser des informations vérifiables sur l’état réel des relations commerciales entre les deux pays.

Conclusion

La grande transformation des pratiques diplomatiques en raison de l’utilisation des réseaux sociaux est là pour rester. Avec ces transformations rapides, les principes de hiérarchie, la culture du secret et de l’aversion au risque des ministères des Affaires étrangères sont radicalement affectés. C’est à nos gouvernements d’en prendre acte.

La recherche pour ce texte a été menée en collaboration avec Émile Paquin et Naël Gaillet, étudiants à l’Université de Montréal.

Article rédigé par:

Professeur à l’École nationale d’administration publique
Les opinions et les points de vue émis n’engagent que leurs auteurs et leurs autrices.