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Des défis immenses pour la prochaine présidente du Mexique

Pour la toute première fois dans l’histoire du Mexique, la prochaine élection présidentielle opposera deux femmes en juin 2024: Claudia Sheinbaum et Xóchitl Gálvez, représentant respectivement Morena, un jeune parti de gauche, et une coalition de droite réunissant les deux vieux partis.

La favorite est toujours à ce jour Claudia Sheinbaum, qui apparaît depuis plusieurs mois comme la protégée du président Andrés Manuel López Obrador, soupçonné de vouloir continuer à tirer les ficelles du pouvoir une fois son mandat terminé. Comme le président que l’on surnomme AMLO, Claudia Sheinbaum, 61 ans, a été maire de Mexico de 2018 à 2023 – plus important État mexicain –, une fonction prestigieuse au caractère initiatique pouvant paver la voie à la présidence.

De son côté, Xóchitl Gálvez, 60 ans, est une femme d’affaires devenue sénatrice en 2018 après avoir été maire d’un arrondissement de Mexico sous la bannière du Partido Acción Nacional. Le PAN a servi d’opposition au Partido revolucionario institucional, le PRI, pendant presque tout le XXe siècle, ce qui en fait l’un des deux grands partis institutionnels aujourd’hui réunis contre Morena.

Entre 2003 et 2006, Mme Gálvez a été directrice générale de la Commission nationale pour le développement des peuples autochtones, un poste important et chargé symboliquement dans un pays métis dont la part autochtone a longtemps été refoulée au profit de sa part espagnole.

Morena, un bilan controversé

Forte de son expérience politique, le principal défi de Claudia Sheinbaum auprès de l’électorat sera de faire oublier les importants ratés du sextennat de López Obrador, une période marquée par la militarisation du pays, l’augmentation des homicides, la crise migratoire, un conflit diplomatique avec l’Espagne, une réforme électorale controversée et la pandémie de Covid-19.

Dans un pays où près de 50% de la population vit dans un état de pauvreté – soit plus de 60 millions de personnes –, le programme de Mme Sheinbaum en matière de lutte au réchauffement climatique ne risque pas de convaincre à lui seul une majorité d’électeurs d’abord préoccupés au quotidien par leur survie économique.

Même constat pour Xóchitl Gálvez, qui malgré son bagage plus à « droite » emprunte à son opposante le discours d’une gauche plus « moderne », plus verte et plus féministe que celle incarnée par López Obrador. Depuis 2018, quelque 18 000 féminicides ont été rapportés au pays, ce qui confère une mission particulièrement significative aux deux femmes candidates à la présidentielle.

Défis importants, obstacles importants

Il faut bien saisir que AMLO s’est buté à plusieurs obstacles structurels qui l’ont empêché de réaliser ses promesses de départ qui étaient de lutter contre la corruption et le crime organisé tout en faisant croître l’économie. Les chiffres disponibles indiquent qu’il n’a pas réussi à endiguer la montée de la violence dans un pays où au moins 33 000 homicides sont enregistrés chaque année depuis 2017. Au contraire, plusieurs observateurs déplorent que la violence ait atteint des niveaux inédits.

Mme Sheinbaum devra se fier au talent de ses meilleurs conseillers en communication pour détourner l’attention de cette réalité, surtout que son adversaire accuse López Obrador d’avoir adopté une approche « criminelle » en matière de sécurité, celle du abrazos no balazos (des câlins et non des balles) avec les cartels. Pour avoir vécu quatre ans à Mexico, je peux assurer que la violence et les nombreuses disparitions restent la principale source de préoccupation des Mexicains, avant l’économie.

Si le bilan d’AMLO est difficile à défendre, il reste un homme politique très populaire, dont le taux d’approbation s’est maintenu autour de 60% durant son mandat. Ce succès s’explique sans doute par sa connexion avec l’électorat pauvre et autochtone. Populiste, López Obrador s’exprime dans un espagnol populaire accessible à tous, parcourt le pays vêtu d’une guayabera (chemise traditionnelle qu’on garde à l’extérieur du pantalon) et prend systématiquement le parti du peuple contre les puissants.

Pour avoir vécu quatre ans à Mexico, je peux assurer que la violence et les nombreuses disparitions restent la principale source de préoccupation des Mexicains, avant l’économie.

Jérôme Blanchet-Gravel

Les médias contre la Quatrième Transformation

Pour sa part, le défi de Xóchitl Gálvez sera de convaincre l’électorat de l’échec, voire de l’absurdité de la « Quatrième Transformation ». Défendu sans ménagement par AMLO, cet ambitieux projet d’émancipation des classes populaires est censé parachever les trois grands épisodes de l’histoire du pays : l’Indépendance (1810-1821), la Réforme (1858-1861) et la Révolution (1910-1920). Renvoyant une image plus bourgeoise que son prédécesseur, Claudia Sheinbaum est donc l’héritière et la nouvelle voix de ce projet à mi-chemin entre le mythe et la réalité. Souvent tourné en dérision dans les conservations de tous les jours, ce projet est présenté par les grands médias comme une lubie mégalomane sans rapport avec ces trois grands moments historiques.

Pour Xóchitl Gálvez, il s’agit essentiellement de profiter de l’hostilité des grands médias envers le président sortant et son parti de gauche, tout en adoptant un discours rassembleur pouvant plaire des deux côtés de l’électorat. Tout au long de son mandat, AMLO aura accusé l’élite médiatique de faire preuve de malhonnêteté et de représenter une frange égoïste et même quelque peu raciste de la population, raciste envers l’écrasante majorité métisse et autochtone.

De même, Claudia Sheinbaum devra être capable de séduire l’électorat plus à droite, malgré la polarisation ambiante et l’importation récente des questions de « genre », un concept loin de plaire à tous les catholiques et chrétiens évangéliques.

Crise migratoire et crime organisé

Il reste à déterminer le rôle que pourrait jouer Marcelo Ebrard, ex-ministre des Affaires étrangères et ex-numéro 2 du gouvernement AMLO défait par Mme Sheinbaum, qui conteste le résultat de la course à la chefferie de Morena. Il vient de lancer son propre mouvement et continue de faire campagne, mais assure qu’il n’en fera pas un parti.

Chose certaine, la candidate victorieuse aura rapidement à traiter avec les politiciens américains de la crise migratoire et de l’emprise du crime organisé. Ces deux thèmes sensibles structurent depuis plusieurs années les relations américano-mexicaines. En mars 2021, le chef du Commandement nord des États-Unis, le général Glen D. VanHerck, a averti que les cartels contrôlaient entre 30 et 35% du territoire mexicain. Ces organisations ne contrôlent plus seulement les routes de la drogue, mais les routes migratoires, ce que dénonce Robert Kennedy Jr, candidat indépendant à la présidence.

Des politiciens américains – parmi lesquels Donald Trump et récemment l’aspirant républicain à la présidence Vivek Ramaswamy – ont déjà dit prôner une intervention directe de l’armée américaine au Mexique pour neutraliser les cartels. Ce genre de sortie heurte à chaque fois la classe politique et médiatique mexicaine, qui y voit une future violation de la souveraineté du Mexique aux accents électoralistes.

Il est communément admis que le nombre de migrants qui parviennent à la frontière américaine depuis le Mexique bat régulièrement des records depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche. Plus encore que la crise climatique, la crise migratoire est sans aucun doute le plus grand défi que doivent relever ensemble Washington et Mexico à court terme. Le Canada devrait d’ailleurs se sentir beaucoup plus concerné par cet enjeu continental, et par le fait même, par cette élection présidentielle.

Article rédigé par:

Essayiste et journaliste
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