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Le Canada a-t-il une place à se faire en Asie centrale?

L’Asie centrale, qui comprend dans sa définition la plus acceptée, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan, est une vaste région bénéficiant d’un très grand potentiel économique, dont l’étendue est méconnue en Amérique du nord. Les pays de la région, bien qu’arborant des caractéristiques assez similaires, dont une histoire et une culture communes, forment cependant un ensemble assez hétérogène étant donné les différences dans la taille des territoires nationaux et de leurs ressources, le niveau de corruption, la culture politique et le niveau de développement économique.

Sa position géographique, nichée entre les deux géants que sont la Chine et la Russie, confère également à la région une grande importance stratégique. Malgré des liens culturels et économiques forts avec la Russie du fait de l’appartenance commune à la défunte Union soviétique, la Chine est depuis peu le partenaire commercial numéro un des pays d’Asie centrale. Les cinq républiques d’Asie centrale ont aussi des relations commerciales diversifiées avec des partenaires européens et dans une moindre mesure, nord-américains. Dans ce contexte, quelles sont les opportunités pour les entreprises canadiennes dans la région?

Des ressources naturelles mais pas seulement

D’une part, les opportunités sont nombreuses puisque ces pays affichent des taux de croissance soutenus depuis une vingtaine d’années. Les prédictions pour 2024 vont de 4 à 8 % selon les pays. Étant donné les vastes réserves de gaz et de pétrole autour du bassin de la Mer Caspienne, les secteurs de l’énergie sont les plus développés surtout pour le Kazakhstan et le Turkménistan, pour qui cette industrie représente la grande majorité de leurs exportations, principalement vers la Chine et l’Europe. Les énergies renouvelables représentent aussi un domaine d’avenir étant donné qu’il s’agit d’une région semi-désertique qui reçoit énormément de journées d’ensoleillement. Le terrain, défini en grande partie par la steppe où rien n’arrête le vent, offre aussi un énorme potentiel éolien, pratiquement inexploité. L’agriculture, un secteur économique très important, est aussi en croissance et pourrait bénéficier de l’expertise canadienne en matière d’agronomie mais aussi de technologie et machineries agricoles. La région regorge également de ressources minières inexploitées, un autre domaine dans lequel l’expertise canadienne est très développée. Selon les experts, certaines de ces ressources pourraient notamment servir la cause de la transition énergétique.

D’autre part, en ce qui concerne les domaines liés aux ressources humaines, ces pays affichent tous des taux de scolarisation très élevés malgré des niveaux de développement économique inégaux. Le taux de scolarisation est donc un atout même si la langue peut être une barrière, mais ceci tend à changer également. Le domaine de l’éducation connaît une rapide expansion avec notamment l’implantation d’universités étrangères, jusqu’à présent le plus souvent britanniques ou russes, ouvrant des campus dans différentes grandes villes afin de pourvoir à la demande grandissante pour l’éducation supérieure, en anglais notamment. Malgré un grand potentiel, on note quand même certains obstacles.

L'agriculture, un secteur économique très important, est aussi en croissance et pourrait bénéficier de l'expertise canadienne en matière d'agronomie mais aussi de technologie et machineries agricoles.

Les freins à la coopération économique

Bien que la distance géographique ne représente pas inévitablement un obstacle au commerce, pensons seulement au volume important d’échanges entre le Canada et la Chine, qui a atteint des records l’an dernier, celle-ci devient un problème en raison de l’enclavement de la région. En effet, l’Asie centrale représente la région du globe la plus éloignée des mers, ce qui nuit considérablement à la fluidité des personnes et des biens. Malgré la richesse des minerais des sols kirghizes et tadjikes, le fait que 50% de leur territoire soit couvert de montagnes de plus de 3000 mètres complique l’exploitation et le transport. Cela étant dit, le projet chinois One Belt One Road comporte des projets concrets d’expansion des chemins de fer reliant la Chine à l’Europe, tels que le Corridor du Milieu. En janvier 2024, l’Union européenne (UE) a aussi annoncé des investissements étatiques et privés de 10 milliards d’euros pour la connectivité des transports entre l’Europe et l’Asie centrale, dans le cadre du réseau commercial Global Gateway de l’UE. Ces projets donnent espoir de positionner la région au centre des échanges, comme c’était le cas à l’époque de la mythique route de la soie.

Sur les plans politique et socio-économique, la situation varie aussi d’un pays à l’autre. Le Canada est représenté par l’ambassade d’Astana au Kazakhstan qui est aussi responsable des relations avec le Kirghizstan et le Tadjikistan et, signe des bouleversements politiques dans la région, de l’Ouzbékistan et du Turkménistan depuis février 2024, dont les relations étaient auparavant gérées depuis l’ambassade canadienne à Moscou. Malgré qu’ils soient de gros joueurs économiques, le Canada entretient des relations plus limitées avec ces deux pays qui sont caractérisés par des autocraties dites plus ‘dures’.

Malgré une certaine ouverture de l’Ouzbékistan suite à la mort de l’ancien président Islam Karimov, connu surtout pour son autoritarisme brutal et son isolationnisme, les relations avec l’Occident sont à rebâtir. Quant à lui, le Turkménistan continue de détenir la palme de l’autoritarisme, voire du totalitarisme, dans la région, au point où certains observateurs n’hésitent pas à le qualifier de ‘Corée du nord centrasiatique’. Conséquemment, les degrés divers de stabilité politique et de régime ont un impact sur l’attrait que ces pays exercent sur les investisseurs potentiels. Selon la dernière itération de l’index de la Banque mondiale ‘Facilité à faire des affaires’ datant de 2019, les républiques d’Asie centrale obtiennent des scores bien différents. Le Tadjikistan, lui aussi marqué par un système autoritaire très répressif et un niveau de corruption extrêmement élevé, fait piètre figure. Signe de la difficulté d’obtenir quelque information sur le Turkménistan, les données pour ce pays ne sont pas disponibles en ce qui concerne la facilité de faire des affaires.

Indices témoignant du contexte politique

Pays

Indice de facilité à faire du commerce*

Indice de corruption**

Indice de démocratie***

Kazakhstan

25

36/100

23/100

Kirghizstan

80

27/100

27/100

Ouzbékistan

69

31/100

12/100

Tadjikistan

106

24/100

7/100

Turkménistan

N/A

19/100

2/100

*1=réglementations les plus favorables aux entreprises. Données de 2019.

** 1=le plus corrompu.

***1=système respectant le moins les libertés politiques. Données de 2023. À titre comparatif, le Canada affiche un score de 92/100 et les États-Unis de 83/100.

Malgré sa proximité avec la zone politique trouble qu’est l’Afghanistan, la région est marquée par une situation politique relativement stable à l’exception de conflits de portée limitée et de la situation politique au Kirghizstan, qui a connu trois renversements de gouvernement en 20 ans. À ce sujet, l’activité minière canadienne dans la région a quelque peu été ternie par les déboires, parfois burlesques, de la filière canadienne Centerra Gold qui a exploité la mine d’or Kumtor au Kirghizstan entre 1997 et 2022, après que le gouvernement du Kirghizistan ait pris le contrôle total de la mine. Bien que le gouvernement ait nié qu’il s’agissait d’une nationalisation et réitéré l’ouverture du pays à des investissements étrangers, cette décision a de quoi refroidir les investisseurs potentiels. Kumtor était la plus grande des mines d’or de Centerra, contribuant à plus de 50 % de la production totale de l’entreprise. Les opérations de la mine sont aussi très significatives pour le Kirghizstan puisqu’elles représentent à elles seules 5% du PIB. En plus de certaines accusations envers Centerra Gold de mauvaises pratiques environnementales, la compétition entre élites et la politisation de la mine ont scellé le sort de la minière canadienne.

La bonne réputation du Canada

À ce niveau, le Kazakhstan se démarque de ses voisins par son attitude ouverte et son désir de transparence. En 2018, l’État a mis sur pied l’Astana International Financial Center (AIFC) dont le mandat est d’attirer des capitaux grâce à des conditions spécialement créées, notamment une réglementation basée sur les meilleures normes internationales, une infrastructure financière bien développée et un système judiciaire indépendant basé sur la Common Law. L’AIFC se targue d’avoir contribué à attirer 10 milliards USD en investissements depuis sa mise en opération.

Les défis sont grands pour de potentiels investisseurs canadiens mais on peut conclure qu’ils sont à la hauteur des possibilités. Bien que lente, la perte d’influence russe en Asie centrale ouvre de nouvelles fenêtres d’opportunités. Le Canada jouit d’une excellente réputation dans la région et l’expertise canadienne dans des domaines-clés pourrait bien servir la volonté de diversification des partenariats, les ambitions économiques et le désir de reconnaissance des pays de la région.

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