Selon le service climatique de l’observatoire européen Copernicus, l’été qui vient de passer aura été le plus chaud jamais mesuré. Et on nous prédit encore pire pour l’avenir. De fortes turbulences s’annoncent à l’horizon. Ce sera aussi le cas sur le plan politique au cours de l’année qui vient de commencer avec le déclenchement d’un autre conflit sanglant au Proche-Orient et qui atteindra son point culminant en novembre 2024 avec l’élection présidentielle américaine.
Bien entendu, chaque année nous réserve son lot d’événements plus ou moins inattendus et la prochaine ne fera pas exception. Au-delà des guerres, des luttes électorales, des changements de gouvernements ou des aléas climatiques et économiques, des forces politiques et sociales transforment notre monde, du nord au sud et d’est en ouest.
Alors que nous avons les yeux rivés sur l’Ukraine, le Proche-Orient vient de se rappeler à notre bon souvenir. L’attaque stupéfiante du Hamas contre des civils israéliens et la réplique qui s’annonce fulgurante d’Israël relèvent maintenant, a affirmé le premier ministre israélien, d’une bataille entre civilisation et barbarie qui « changera le Proche-Orient. » Il est encore trop tôt pour dire comment ce nouveau drame affectera la région.
Les États-Unis, toujours la seule superpuissance mondiale encore capable de façonner les relations internationales, vont vivre des moments forts. Le cycle électoral américain qui commence avec les premières primaires en janvier prochain va attirer l’attention de la planète entière. Il ne s’agit pas cette fois d’une élection présidentielle ordinaire. Elle sera aussi importante que celle qui permit à Ronald Reagan de l’emporter sur Jimmy Carter en 1980 et qui propulsa au pouvoir un acteur de cinéma déterminé à rétablir la puissance américaine au lendemain de la prise d’otages de ses diplomates en Iran. Cette fois, le choix que feront les Américains entre Joe Biden, le président sortant et représentant de la continuité, et Donald Trump, quasiment assuré de l’investiture républicaine et déterminé à prendre sa revanche sur les establishments, pourrait avoir des conséquences sur la démocratie aux États-Unis et sur la géopolitique mondiale.
Mais quel que soit le candidat qui occupera la Maison-Blanche, il devra se montrer d’une grande prudence dans la gestion des conflits en Ukraine et au Proche-Orient, et dans l’affrontement qui se dessine avec la Chine. Ces situations ont un fort potentiel de dérapage si tout n’est pas mis en œuvre pour tempérer les ardeurs des uns et des autres. Les alliés des protagonistes en place ont aussi un rôle à jouer pour calmer le jeu.
La montée des pays émergents
Si les événements qui intéressent les pays occidentaux attirent notre attention, ce qui se passe dans le Sud global, dont l’émergence comme force mondiale se poursuit et s’est une nouvelle fois manifestée cet été lors des sommets des BRICS et du G20, est le phénomène géopolitique le plus important à survenir depuis l’effondrement du bloc soviétique.
La montée en puissance de ce que l’on appelait auparavant les pays en voie de développement se confirme d’année en année. Ils accèdent à un niveau de richesses et d’influence qui les rendent de plus en plus incontournables. Très tributaires de leurs relations avec l’Ouest ou l’Est au temps de la guerre froide, ils ont maintenant de plus en plus l’occasion de mener une politique économique et diplomatique à la carte. D’où leur refus dans bien des cas de choisir leur camp dans la guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine ou dans le conflit qui se profile à l’horizon entre la Chine et les États-Unis.
Dans le même temps, ils réclament une plus grande place au soleil. Les institutions internationales ont été créées par les Occidentaux au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale sans leur apport. La création du G20 au début des années 2000 avait pour objectif d’y remédier en élargissant le cercle des décideurs de la gouvernance mondiale au-delà des membres du G7, le club exclusif des puissances occidentales. À l’évidence, cela n’a pas entièrement satisfait les puissances émergentes puisque cinq d’entre elles – le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud – ont formé en 2009 le regroupement des BRICS qui s’élargira dès le mois de janvier prochain en accueillant l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran. Plusieurs analystes occidentaux s’étaient moqués des BRICS à leur création en soulignant le caractère hétérogène du groupe et l’impossibilité pour un assemblage de démocraties et de dictatures d’élaborer des stratégies communes comme si l’OTAN avait été incapable de fonctionner tout en accueillant pendant longtemps les dictatures du Portugal, de la Grèce et de la Turquie.
Les critiques ricanent moins aujourd’hui. Malgré ses fragilités, la nouvelle configuration des BRICS représentera à l’échelle mondiale près de la moitié de la population, 37 % du produit intérieur brut et plus de 50 % des réserves d’hydrocarbures. Et ses membres ont bien l’intention de peser de tout leur poids pour réécrire les règles de l’ordre mondial. C’est en tout cas l’essentiel du message délivré par le ministre indien des Affaires étrangères devant l’Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier.
« Seule une poignée de nations dicte encore l’ordre du jour et cherche à fixer la norme, a-t-il dit. Cela ne peut durer éternellement et ne restera pas toujours incontesté. Un ordre juste, équitable et démocratique finira par émerger quand nous ferons tous preuve de la détermination nécessaire. Et cela signifie au départ de nous assurer que ceux qui établissent les règles ne cherchent pas à assujettir ceux qui doivent les mettre en œuvre. » Le message sera-t-il compris au Nord?
Ce qui se passe dans le Sud global (…) est le phénomène géopolitique le plus important à survenir depuis l’effondrement du bloc soviétique.
Élections au Mexique et en Inde
En attendant, toujours dans ce Sud si dynamique, le Mexique fera l’Histoire, car tout indique qu’une femme en deviendra la présidente l’an prochain. Les deux grands partis qui dominent la vie politique mexicaine ont choisi une femme comme candidate. Elles représentent les deux courants idéologiques du spectre politique, la gauche et la droite, et l’élection de l’une ou de l’autre marquera soit la continuité avec le pouvoir actuel, soit un renversement de tendance avec l’élection de la candidate de la droite.
L’Inde ira aux urnes l’an prochain, et l’élection s’annonce tout aussi déterminante qu’aux États-Unis. Le premier ministre Narendra Modi en poste depuis une dizaine d’années sollicite un nouveau mandat et il affrontera cette fois une opposition un peu plus unie que lors du dernier scrutin il y a quatre ans. Modi est accusé de dérive autoritaire et de réprimer certaines minorités. Plusieurs craignent pour l’avenir de la démocratie dans ce pays devenu le plus populeux de la planète.
C’est une élection qui va intéresser le Canada. Les relations entre les deux pays se sont fortement dégradées lorsque le premier ministre Trudeau a accusé le gouvernement indien d’être derrière l’assassinat d’un activiste sikh, et de surcroît citoyen canadien, en Colombie-Britannique, en juin dernier. Le premier ministre indien a rejeté les accusations, et tout indique que le Canada ne trouvera pas de réconfort dans une victoire de l’opposition, car tous les partis politiques indiens sont derrière Modi.
Au-delà des péripéties particulières de chaque pays, de chaque région, l’ordre international est en pleine recomposition. On verra dans les prochaines années si la coopération l’emportera sur la rivalité.