Le sport est a priori très éloigné de la diplomatie puisqu’il relève du loisir et de l’entretien du corps. Pourtant, dans une société mondialisée et interconnectée, le sport s’impose comme un fait social international. Il est investi par les États, à la fois comme symbole de puissance et vecteur d’influence. Offre-t-il une voie diplomatique à la compétition entre les États ? Dans un environnement international où les rapports de puissance sont omniprésents, le sport permet de déconflictualiser l’usage de la force en créant des moments fédérateurs.
La diplomatie du ping-pong
Au fond, le sportif, dans une compétition internationale, est un héros sans arme. Et indubitablement, le sport peut être considéré comme un vecteur de rapprochement et d’unification. Que l’on pense à la diplomatie du ping-pong. En 1971, une équipe de ping-pong américaine fut invitée à se rendre en Chine. À cette époque les États-Unis et la Chine n’avaient pas encore de relations diplomatiques et la guerre du Vietnam était en cours. Le premier ministre chinois, Zhou Enlai, réserva un accueil chaleureux aux pongistes américains. Il savait que cela serait perçu comme un signal positif à l’égard de l’administration du président Nixon, qui devait annoncer le dégel et la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays. Le secrétaire d’État, Henry Kissinger, attendait un tel signal pour préparer le voyage historique de Nixon à Pékin.
Le sport peut ainsi ouvrir la voie à un rapprochement entre deux pays naguère en froid. Entre l’Inde et le Pakistan, l’envoi d’équipes de cricket ouvrit la voie, là aussi, à une reprise du dialogue. L’organisation d’événements sportifs crée du lien entre communautés et nations autour d’un moment fédérateur puissant. Que l’on pense aux Jeux asiatiques ou à la CAF (la Coupe africaine de Football) ou encore aux Invictus games du Commonwealth.
Examinons de près les préceptes de l’olympisme : respect des autres, solidarité, acceptation des différences (comme les jeux paralympiques), et de la défaite. Ce sont autant de principes que cherche à renforcer le multilatéralisme. Il y a des termes sportifs qui ont glissé dans le langage diplomatique multilatéral comme « level playing field » (règles de jeu équitables) pour indiquer des mesures visant à davantage de réciprocité dans les relations internationales.
Puissance et influence
Au-delà de ses vertus pacificatrices, le sport n’en demeure pas moins un symbole de puissance et un vecteur d’influence. Les compétitions sportives offrent aux États l’occasion d’exhiber leur puissance. Ainsi le nombre de médailles d’or, d’argent et de bronze aux JO constitue le reflet du rang, de la puissance des États. Et ce n’est pas nouveau. On sait comment le régime nazi instrumentalisa les JO de Berlin en 1936. Le Führer va logiquement vouloir faire des Jeux de 1936 une démonstration de la puissance allemande, y consacrant pas moins de 20 millions de marks, une somme très importante pour l’époque. C’est pour lui une double opportunité : assurer la promotion du régime en interne et le rayonnement de la puissance allemande à l’extérieur.
Pendant la guerre froide, les JO sont un lieu d’affrontement indirect entre États-Unis et Russie. Les performances des athlètes sont destinées à démontrer la supériorité du modèle politique et de l’idéologie. C’est l’occasion d’exalter un grand récit national (« la fabrique des athlètes ») et de projeter une image attractive puisque le sport est synonyme de santé physique et de dépassement de soi. Lorsque la Chine organise pour la première fois les JO en 2008, elle en fait un véritable sacre de la puissance chinoise, avec le slogan « Un monde, un rêve ».
Mais le sport peut être aussi un égalisateur de puissance. Il offre à des petits pays une plateforme exceptionnelle pour la projection de leur image. Que l’on pense aux pays nordiques qui bénéficient du niveau exceptionnel de leurs sportifs aux JO d’hiver ; ou encore à un pays comme la Jamaïque grâce aux records mondiaux de son athlète Usain Bolt ; ou à l’Éthiopie dont les marathoniens sont régulièrement champions du monde. L’organisation de la coupe mondiale de football par le Qatar en 2022 est une autre illustration de cette vitrine que le sport mondial peut offrir à des nations aux modestes proportions.
Dans un environnement international où les rapports de puissance sont omniprésents, le sport permet de déconflictualiser l’usage de la force en créant des moments fédérateurs.
Outil du soft power
Le sport est donc un outil de soft power. Il peut servir de caution politique à un régime comme c’est le cas avec Cuba, par exemple. Il peut aussi servir à restaurer l’image d’un pays. Le Japon a beaucoup misé sur les JO de Tokyo de 2021 (initialement prévus en 2020, mais reportés suite à la pandémie) pour faire la démonstration qu’il avait surmonté le traumatisme lié à la catastrophe nucléaire de Fukushima, qu’il était capable de tenir son rôle de puissance régionale (et mondiale) malgré la concurrence de la Chine, et que son économie était résiliente malgré les conséquences de la covid. On a pu dire que le sport contribue au « nation branding » en promouvant l’image de marque d’un pays et cela a été encore le cas récemment aux JO de Paris. Mais il expose aussi les États à l’attention des médias, et ce n’est pas toujours à leur avantage (le sort des Ouïghours en Chine, ou celui des travailleurs immigrés au Qatar).
Ce qui est notable, aussi, c’est le déplacement de l’épicentre géopolitique mondial du sport de l’Europe vers les pays émergents et le monde asiatique : la Chine avec les JO de 2008 et de 2022 (hiver), la Corée du Sud avec les JO d’hiver de 2018, le Japon avec les JO de 2021, la Russie avec les JO d’hiver à Sotchi en 2014. Et les prochains JO auront lieu dans l’Asie-Pacifique puisqu’ils se tiendront à Los Angeles. Sans parler du Qatar en 2022, pour le football. Le monde du sport devient de plus en plus multipolaire. Mais le continent africain ne joue pas encore dans cette catégorie mondiale tandis que le continent latino-américain commence à s’y manifester (JO de Rio de 2016).
Thermomètre des relations internationales
Avec la politisation du sport apparaissent immanquablement des lignes de fracture. Il ne s’agit plus d’une opposition de bloc à bloc comme durant la Guerre froide. Mais le sport est bien devenu le thermomètre des relations internationales. Les récents JO de Paris en sont un exemple. C’est ainsi que ni la Russie ni le Belarus n’ont été invités à participer. L’agression russe en Ukraine en était la raison véritable, puisqu’elle va à l’encontre des principes énoncés dans la charte olympique. Mais la raison avancée par le Comité olympique international (CIO) était plus alambiquée. Le CIO a expliqué qu’on ne pouvait admettre des athlètes russes qui soutiennent la guerre en Ukraine ou sont sous contrat avec l’armée russe, or cela concernait nombre d’entre eux. Du coup, Poutine a décidé de boycotter les JO de Paris. Des voix se sont fait entendre pour adopter les mêmes mesures à l’égard d’Israël. Mais pour le CIO, ces accusations ne sont pas recevables. Le cas de la Russie ne peut être comparé à celui d’Israël. Moscou a violé la trêve olympique en envahissant la Crimée en 2014 après les Jeux d’hiver de Sotchi, et en attaquant l’Ukraine il y a deux ans après les Jeux d’hiver de Pékin.
Quelques autres incidents diplomatiques ont émaillé les JO de 2024. Ainsi des accusations réciproques de la Chine et des États-Unis au sujet du dopage. Ces accusations sont récurrentes et l’Agence antidopage (une émanation du CIO) a rétorqué que les contrôles des sportifs chinois étaient plus sévères que ceux de leurs concurrents américains. Ou encore les accusations de la première ministre italienne, Giorgia Meloni, au sujet de la boxeuse algérienne Imane Khelif, qui avait éliminé une concurrente italienne. Ces accusations relayaient des rumeurs selon lesquelles la boxeuse serait une personne transgenre. Une polémique que les autorités algériennes ont imputée au « lobby sioniste ». Et on pourrait aussi mentionner les critiques émanant du Saint-Siège et du président turc au sujet d’une séquence du spectacle d’ouverture, jugée immorale parce que parodique. Ces différents incidents sont révélateurs de cette tendance croissante du politique à utiliser le sport comme terrain de confrontation.
Sport et diplomatie paraissent de plus en plus liés, à l’heure d’un monde interconnecté, où la politique d’influence (le soft power) constitue une priorité pour la plupart des États. Il est tentant en effet d’instrumentaliser le sport compte tenu de son audience mondiale. Le sport est devenu un phénomène globalisant, associant nation branding (le sport vitrine de l’ État) et nation building (il structure l’identité nationale en exaltant une forme de patriotisme, comme les récents jeux de Paris l’ont démontré à l’envi). Mais sachons raison garder. Le sport n’a pas le même poids, pour un État, que sa puissance économique ou militaire. Le fait d’avoir une économie puissante permet d’utiliser le sport pour projeter une image (à un coût élevé, souvent). En revanche, l’inverse n’est pas vrai : une équipe sportive de niveau mondial ne fait pas d’un État une puissance qui peut exercer une influence au niveau international.