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Hydro-Québec doit-elle poursuivre ses exportations aux États-Unis ?

Avec le virage imposé par la transition énergétique, et qui nécessite beaucoup d’électricité supplémentaire, le Québec peut-il encore exporter son électricité verte ? Plusieurs ont commencé à poser la question.

Le Québec produit actuellement quelque 200 térawattheures (TWh) d’électricité. C’est presque autant de production d’électricité qui devra être mise en place d’ici moins de 30 ans pour décarboner l’économie québécoise et répondre à la croissance économique.

Le Québec exporte environ 30 térawattheures d’électricité par année : cela représente une portion non négligeable de sa production annuelle, soit 15 %. Et on apprenait récemment qu’Hydro-Québec enregistre présentement une baisse importante du niveau de ses réservoirs, soit un manque à gagner de 30 TWh…c’est presque l’équivalent de son volume annuel d’exportation !

Mettre le holà?

Devrions-nous mettre le holà sur cette activité, longtemps au cœur de la stratégie commerciale de la société d’État ? Certainement pas si on se préoccupe du poids politique, de l’influence du Québec aux États-Unis ! Cela est peu souvent évoqué, mais ces exportations d’une électricité propre sont capitales au positionnement géopolitique du Québec.

Dans sa Stratégie territoriale pour les États-Unis, le gouvernement du Québec met en exergue le caractère stratégique des exportations d’hydroélectricité.

Cette stratégie fait du climat et de la décarbonation un axe clé de la « diplomatie d’influence » du Québec. Dans cette optique, les contrats à long terme d’Hydro-Québec signé avec des États clés comme New York et le Massachussetts seront largement utilisés par le Québec pour accroitre sa réputation et son rayonnement chez notre voisin du Sud : assurément une carte de prestige pour capter l’attention de clients et de partenaires potentiels et créer des occasions d’affaires.

Le Québec affiche l’ambition d’un leadership en faveur d’une économie verte, et la carte de l’exportation d’une électricité propre renforce cette image qu’il entend projeter auprès de ses partenaires géographiques.

Devrions-nous mettre le holà sur cette activité, longtemps au cœur de la stratégie commerciale de la société d’État ? Certainement pas si on se préoccupe du poids politique, de l’influence du Québec aux États-Unis!

Les exportations, portrait de la situation

Hydro-Québec vend son énergie hors Québec via des ententes à long terme et via des ventes horaires depuis son parquet de transactions, sorte de bourse de l’électricité où œuvrent une cinquantaine de personnes. Ses clients sont de gros producteurs, qui revendent à des compagnies de distribution. Les prix varient d’heure en heure, selon divers facteurs, dont la météo. Hydro-Québec dispose ici d’une grande marge de manœuvre, en fonction de ses besoins internes et des opportunités qui se présentent.

Hydro-Québec est particulièrement bien positionnée pour ces ventes à court terme : ses centrales peuvent démarrer en quelques minutes, et ainsi moduler la production en fonction des conditions des marchés d’exportation. En ce qui concerne les contrats à long terme, ils sont avec le Vermont ; avec la Ville de Cornwall, en Ontario ; et avec le Nouveau-Brunswick.

En septembre 2021, Hydro-Québec a annoncé avoir remporté un contrat de livraison d’électricité vers New York, le projet Champlain Hudson Power Express, à l’issue d’un appel de propositions. Le projet nécessite la construction d’une nouvelle ligne permettant d’acheminer annuellement, pendant 25 ans, à partir de 2026, plus de 10 TWh : c’est l’équivalent de la consommation de plus d’un million de foyers.
Un autre contrat à long terme est celui vers le Massachussetts, le projet nommé New England Clean Energy Connect. Il s’agit d’une nouvelle ligne d’interconnexion permettant d’acheminer, à partir de 2025-2026, pendant 20 ans, 9,45 TWh d’énergie au Massachusetts et 0,5 TWh au Maine.

Ce contrat a fait l’objet de procédures judiciaires menant à l’interruption en 2022 des travaux de construction de la ligne de transport. Mais un jury du Maine a statué, en avril 2023, en faveur d’Hydro-Québec et de son partenaire américain, permettant la reprise des travaux après 17 mois d’interruption.

Des bénéfices économiques importants

Il faut le rappeler, les activités d’exportations sont payantes pour Hydro-Québec et, ce faisant, pour le gouvernement du Québec, qui empoche annuellement un dividende tiré du bénéfice net de la société d’État.

L’année 2022 notamment a été exceptionnelle pour la société d’État. Elle a pu tirer profit de l’augmentation des prix de l’énergie aux États-Unis pour vendre son électricité à prix élevé et dégager des ventes à l’exportation frôlant les 3 milliards. Ces ventes ont été effectuées pour près de la moitié en Nouvelle-Angleterre, puis, par ordre d’importance, en Ontario (21 %), New York (17 %) et au Nouveau-Brunswick (16 %).

En 2021, année plus « ordinaire », ses ventes de plus de 35 TWh ont contribué à hauteur de 865 millions de dollars à son bénéfice net de 3,6 milliards : donc 17 % des ventes totales ont contribué à presqu’au quart du bénéfice net. Quant au contrat avec New York, il débutera en 2026, et rapporterait, selon La Presse, un profit annuel de 950 millions.

Des bénéfices environnementaux pour nos voisins

La filière hydroélectrique québécoise n’entraîne aucun rejet toxique et génère très peu d’émissions de gaz à effet de serre (GES) par kilowattheure produit.

En 2022, souligne le dernier Rapport de développement durable 2022 d’Hydro-Québec, ses exportations ont permis d’éviter l’émission de 6,4 millions de tonnes d’équivalent CO2 : cela qui correspond au retrait d’environ 1,4 million de véhicules sur les routes.

L’impact du contrat avec New York sur les émissions de CO2 contribuera à hauteur de 6 % à la réalisation de l’objectif de l’État de réduction des GES d’ici à 2030. Et à hauteur de 28 % à la réalisation de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de la ville de New York.

Pour le Massachussetts, une étude indépendante, commandée par le Public Utilities Commission du Maine (2018), indique une réduction annuelle de 3,6 millions de tonnes métriques de CO2 avec l’énergie livrée par ce contrat. C’est d’une grande importance, car les États américains voisins se sont tous donnés des objectifs bien ambitieux de décarbonation de leur réseau électrique.

Par exemple, l’État de New York, avec une électricité renouvelable à presque 30 %, entend plus que doubler cette proportion, soit à 70 % en 2030, donc dans à peine 6 ans. Il est clair que le contrat avec Hydro est une pièce maîtresse de ce plan new-yorkais.

Des bénéfices mutuels en matière de fiabilité du réseau

Ces échanges d’électricité, ces interconnexions, actuelles et futures, contribuent aussi à la robustesse, à une meilleure fiabilité des réseaux électriques. Avec l’ajout prévu de capacité de production éolienne et solaire, au Québec et dans les États voisins, ces réseaux auront besoin d’énergie en base lorsque le vent ne souffle pas ou la nuit ou par temps nuageux en ce qui concerne le solaire.

Des liens accrus permettent de faire appel aux voisins lors de ces périodes, au lieu de mettre en place de nouveaux équipements, souvent coûteux.

Avec ses vastes réservoirs d’eau, le Québec dispose à portée de main d’une forte réserve d’énergie pour faire fonctionner ses centrales : il est particulièrement bien placé pour pallier ces énergies intermittentes qui prendront une place de plus en plus importante dans le mix énergétique des États voisins (d’où son qualificatif de batterie verte du nord-est du continent).

À l’inverse, cette intégration d’énergie intermittente amènera, en certaines périodes, des surplus de production qu’il faudra écouler, à faible prix : Hydro-Québec pourra acheter cette énergie, et simultanément préserver le niveau de ses réservoirs.

Malgré nos besoins significatifs en électricité au cours des prochaines années, nos exportations apportent de gros avantages : des bénéfices financiers, en faveur de l’État québécois; de la redistribution de la richesse ; des bénéfices environnementaux, avec sa faible empreinte carbone, dont nous profitons, nous et nos voisins ; des bénéfices techniques, car les interconnexions renforcent la résilience des réseaux, la fiabilité d’alimentation.

Enfin, ces exportations sont stratégiques pour nos voisins et renforcent donc notre influence, notre poids politique, notre voix, dans le nord-est du continent.

Article rédigé par:

Fellow et chercheur en énergie au CÉRIUM
Les opinions et les points de vue émis n’engagent que leurs auteurs et leurs autrices.