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Doit-on redouter l’Inflation Reduction Act ?

L’Inflation Reduction Act (IRA) suscite manifestement des appréhensions. Adoptée le 16 août 2022 dans le cadre du vaste plan de lutte contre l’inflation post-covid de l’Administration Biden, cette loi d’envergure mise sur d’importantes injections de fonds dans divers secteurs tels que la santé, le régime fiscal et la transition énergétique. Il est question d’un plan d’investissement de 739 milliards de dollars américains, dont plus de la moitié est allouée au financement du déploiement des énergies vertes, de la filière des véhicules électriques et de la construction durable. Comparable en ampleur au New Deal des années 1930, l’IRA a le potentiel de remodeler considérablement les flux commerciaux au cours de la prochaine décennie.

Toutefois, au-delà des inquiétudes suscitées par l’IRA, il convient d’y voir également l’opportunité d’engager une discussion approfondie avec notre principal partenaire commercial de manière à profiter de ce remodelage.

Le nationalisme américain

Si ce plan a été plutôt bien accueilli en raison de son engagement affirmé en faveur du verdissement de l’économie américaine, sur la scène internationale, il a immédiatement engendré des réactions de la part des principaux partenaires commerciaux des États-Unis, parmi lesquels le Canada. En effet, par le biais de l’IRA, les États-Unis assument pleinement leurs aspirations nationalistes, voire protectionnistes, allant jusqu’à enfreindre les principes élémentaires du droit du commerce international. De plus, ils ne dissimulent pas leur ambition de devenir la puissance mondiale de la transition énergétique.

Pour atteindre cet objectif, l’IRA favorise les produits américains et la production sur le sol américain. Ainsi, les milliards de dollars seront octroyés aux entreprises qui fabriquent sur le territoire des États-Unis en utilisant des matériaux américains. Concernant certains produits tels que les minéraux critiques et les batteries électriques, l’IRA va encore plus loin en mentionnant certains pays auprès desquels les entreprises peuvent s’approvisionner… ou non.

Dans ce contexte, les principaux partenaires commerciaux des États-Unis, dont le Canada, sont épargnés en ce qui concerne le fameux programme de remise de taxes aux consommateurs acquérant des véhicules électriques. Cependant, ce programme ne concerne qu’une infime portion de l’IRA ; les autres initiatives récompenseront essentiellement les produits américains fabriqués sur le sol américain.

Dans cette optique, l’IRA aura pour conséquence de relocaliser une grande partie de la production de la filiale en électrification des transports aux États-Unis. En effet, pour bénéficier des milliards annoncés, une entreprise optera aisément pour l’établissement d’une usine aux États-Unis plutôt qu’ailleurs. 

Face à cette menace, de nombreux pays ont aussitôt réagi : pour contrer l’IRA, ils ont adopté leurs propres programmes incitatifs. Le Canada a choisi de participer à cette compétition, voire cette surenchère, en octroyant des subventions aux entreprises du secteur de l’électrification des transports. La récente annonce concernant l’implantation d’une usine de l’entreprise suédoise Northvolt à McMaster Ville a suscité des interrogations, tant l’injection de capitaux semble considérable. Le Canada joue ainsi le jeu des Américains en offrant d’importantes aides gouvernementales pour attirer les investisseurs à s’établir sur le territoire canadien, espérant ainsi devenir un leader dans le domaine.

Comparable en ampleur au New Deal des années 1930, l'Inflation Reduction Act a le potentiel de remodeler considérablement les flux commerciaux au cours de la prochaine décennie.

Quelle stratégie canadienne?

Cependant, au lieu de rivaliser avec les milliards américains, le Canada aurait peut-être dû envisager une autre stratégie : celle de la régionalisation et de la mise en commun des forces en Amérique du Nord. Rappelons-le, le Canada bénéficie d’un avantage non négligeable : son territoire regorge de minéraux critiques et de terres rares, essentiels à la transition énergétique. Les États-Unis sont pleinement conscients que leur réussite dépend de l’accès à nos ressources. Plutôt que de rivaliser, les deux pays auraient donc intérêt à envisager sérieusement une chaîne d’approvisionnement véritablement intégrée.

L’idée serait de répondre significativement aux besoins américains en ressources minérales tout en s’assurant que le Canada accueille lui aussi des entreprises fabriquant des produits à valeur ajoutée. Autrement dit, compte tenu du fait que le Canada ne peut rivaliser avec les États-Unis en termes de financement à long terme de l’industrie, et afin d’éviter d’être relégué au statut de simple fournisseur de ressources naturelles, il aurait été avisé d’utiliser son riche sous-sol comme levier pour négocier sa place parmi les leaders de cette course du siècle.

De tels arrangements gagnant-gagnant existent déjà entre les deux pays. C’est le cas du corridor automobile entre Détroit et Windsor ou encore du corridor Albany – Bromont annoncé lors de la visite du président Biden en mars 2023. On parle ainsi de chaîne d’approvisionnement intégrée, régionale et résiliente.

L’examen prochain de notre nouvel Accord de libre-échange Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM), prévu en 2026, pourrait peut-être permettre au Canada de consigner officiellement un tel accord. Inséré dans le cadre d’un accord de libre-échange formel, ce dispositif accorderait aux trois partenaires de l’ACEUM toute la latitude nécessaire pour convenir d’un traitement préférentiel, et ce, en toute conformité avec les règles du commerce international. Évidemment, l’issue des prochaines élections aux États-Unis pourrait peser lourd sur de telles négociations.

Le Canada, un partenaire de choix

Il n’en demeure pas moins qu’un tel accord relatif à la filière des véhicules électriques pourrait donner corps au nouveau paradigme du « friendshoring » (partenariat d’affinité) initialement promue par Janet Yellen, Secrétaire américaine au Trésor. Selon cette dernière, les États-Unis doivent réorienter leur chaîne d’approvisionnement en privilégiant des pays amis afin de prévenir les ruptures causées par les aléas géostratégiques.

Cet accord permettrait de satisfaire une partie substantielle des besoins américains en minéraux critiques et en batteries électriques. Il est bon de rappeler que l’IRA exclut les minéraux critiques et les batteries en provenance des « entités étrangères préoccupantes ». Cela vise manifestement la Chine, de loin le principal transformateur de minéraux critiques. Le défi est donc de taille pour les États-Unis. Étant nettement déficitaire sur ce plan, les États-Unis doivent assurer leur approvisionnement en ressources naturelles, idéalement au sein de territoires stables économiquement et politiquement. À cet égard, le Canada apparaît comme le partenaire de choix. Profitons-en et, pour reprendre les mots de la vice-première ministre Chrystia Freeland, concluons une entente gagnante-gagnante !

Article rédigé par:

Professeure à l’Université d’Ottawa
Les opinions et les points de vue émis n’engagent que leurs auteurs et leurs autrices.