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L’irrésistible déploiement du Québec à l’étranger

La ministre des Relations internationales et de la Francophonie du Québec, Mme Martine Biron, a annoncé le 3 août dernier que le gouvernement du Québec aura un bureau à Tel-Aviv, en Israël. Il s’agira de la 35e représentation internationale du Québec dans le monde, un record. À ces représentations de formes variées s’ajoutent les onze bureaux à l’étranger d’Investissement Québec et les neuf de la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui sont des entreprises publiques relevant du gouvernement du Québec, ainsi que trois bureaux et quatre satellites en matière d’immigration, pour un total de 62 représentations de toute nature!

Qu’en pense le fédéral ?

Il n’y a pas si longtemps, les stratégies internationales du Québec entrainaient de vifs conflits avec le gouvernement fédéral et pas exclusivement lorsque le Parti Québécois était au pouvoir et qu’il préparait un référendum. Il y a une cinquantaine d’années, lors des négociations internationales visant à mettre sur pied l’Agence de coopération culturelle et technique (l’ancêtre de la Francophonie), les relations étaient si tendues que le ministre québécois Jean-Guy Cardinal s’est rendu au Gabon pour une rencontre de pays francophones avec un sauf-conduit accordé par le gouvernement français parce qu’il craignait d’être arrêté à son retour au Canada pour « haute trahison »!

En 2000, Joe Biden, alors qu’il siégeait au comité du Sénat américain sur les affaires étrangères est allé jusqu’à déclarer qu’« en temps de paix, la politique étrangère du Canada consiste à combattre le Québec» .

Les temps ont cependant beaucoup changé, car le bureau du Québec à Tel-Aviv, dont l’ouverture a été reportée en raison de la reprise des hostilités dans la région, sera logé dans l’ambassade canadienne. Cette situation n’est pas inusitée. Si le gouvernement québécois a refusé que le bureau du Québec à Washington soit logé dans l’ambassade du Canada contrairement à l’Ontario et l’Alberta, la situation existe dans plusieurs autres pays. Les représentants du Québec entretiennent même parfois une certaine confusion sur leur titre. Sur la carte de visite du directeur du bureau du Québec à Sao Paulo au Brésil, par exemple, on peut lire :

Gouvernement du Québec
Directeur
Consul, consulat général du Canada au Brésil.

Exceptionnel le Québec?

Ce qui a le plus changé depuis les années 1960-1970 c’est que ce que certaines présentent encore comme un exceptionnalisme québécois s’est largement banalisé au Canada et un peu partout dans le monde. Contrairement à une idée populaire, la création d’une capacité de relations internationales par les provinces canadiennes n’est pas un phénomène nouveau ni récent. Les premiers précédents d’action internationale par les provinces remontent à plus de 150 ans.

L’Ontario poste son premier agent d’immigration au Royaume-Uni en 1869 et le Québec fait de même au Royaume-Uni et aux États-Unis en 1871. Québec ouvre également une représentation à Paris en 1882. En 1908, le gouvernement québécois adopte une loi pour établir une agence au Royaume-Uni, qui ouvre ses portes en 1911. Il nomme un agent général à Bruxelles en 1914. La délégation du Québec à New York ouvre pendant la Seconde Guerre mondiale en 1940.

De nos jours, la Colombie-Britannique dirige 23 représentations à l’international, contre 15 pour l’Alberta, 13 pour l’Ontario et 9 pour la Saskatchewan. Par rapport à la situation à la fin des années 1970, il s’agit d’une augmentation de 125 %. Ces bureaux sont déployés sur les cinq continents.

Il est important de noter que cette augmentation n’a pas été linéaire et qu’elle a été fortement asymétrique d’une province à l’autre. Sans surprise, la province la plus impliquée dans les questions internationales est le Québec. Pendant un temps, l’Ontario a rivalisé avec le Québec, mais suite à la fermeture complète de ses représentations à l’étranger au début des années 1990 par l’administration néo-démocrate de Bob Rae, elle a été définitivement déclassée.

Le cas du Québec, mais aussi à certains égards des communautés autochtones du Canada, se situe dans une catégorie distincte, puisque la dimension identitaire, largement absente des motivations internationales des provinces canadiennes, sauf peut-être à certains égards avec la Francophonie pour le Nouveau-Brunswick, est au cœur des stratégies internationales du Québec.

L’Alberta est un cas intéressant, car elle se heurte souvent à Ottawa sur les négociations sur les changements climatiques et la protection de ses intérêts pétroliers dans le secteur de l’énergie que ce soit à Bruxelles et Washington. Cela dit, l’Alberta ne fait pas la promotion de son identité distincte sur la scène internationale, mais plutôt de ses intérêts économiques qui divergent de la politique étrangère d’Ottawa.

Et ailleurs dans le monde?

Le Canada n’est pas le seul pays qui connait une progression de ses représentations provinciales à l’international. Aux États-Unis, quatre États américains opéraient 4 bureaux à l’étranger en 1970. Ce chiffre monte à 42 États qui opéraient un total de 245 bureaux en 2008 juste avant la grande récession. Lors des derniers chiffres disponibles de 2015, 42 États américains opéraient 212 bureaux, un recul de 33 représentations en raison de coupures budgétaires. À titre de comparaison le gouvernement des États-Unis opère environ 270 Ambassades et consulats dans le monde.

En Europe, l’ensemble des Länder allemands dirige 140 représentations à l’extérieur de leurs frontières. Ce chiffre est encore plus élevé pour les États fédérés de Belgique. En effet, Wallonie-Bruxelles international, l’équivalent du MRIF, opère 17 représentations de nature politique et 107 de nature économique pour un total de 124, ce qui est considérable pour une région de 3,7 millions d’habitants. La Flandre, pour sa part, a 13 représentations de nature politique, 90 de nature économique en plus de 10 bureaux de tourisme pour un grand totale de 113.

Contrairement à une idée populaire, la création d'une capacité de relations internationales par les provinces canadiennes n'est pas un phénomène nouveau ni récent.

Apprendre de Washington?

Historiquement le Canada a gaspillé énormément de temps et d’énergie à limiter et à contrôler les actions internationales des provinces, notamment celle du Québec. La ministre des Affaires mondiales du Canada, Mélanie Joly, qui souhaite procéder à une réforme de son ministère, devrait s’intéresser à ce qui se passe au sud de la frontière, car les États-Unis ont récemment fait preuve d’une grande innovation en matière de diplomatie.

L’administration Biden a en effet nommé l’ambassadrice, Mme Nina Hachigian « représentante spéciale pour la diplomatie des États américains et des villes » en plus de mettre sur pied une unité de la paradiplomatie au sein du bureau des partenariats mondiaux au Département d’État.

L’objectif de cette nomination, selon le Secrétaire d’État Anthony Blinken, est de reconnaitre l’importance d’offrir des avantages aux communautés locales en lien avec les affaires internationales, mais également d’intégrer leurs idées dans le processus décisionnel notamment consultant plus systématiquement les élus locaux, les gouverneurs en plus de les exposer aux questions internationales.

Les grands enjeux de la politique internationale que ce soit le commerce, les questions climatiques internationales ou menaces transnationales comme le terrorisme et les pandémies nécessitent une collaboration soutenue de tous les acteurs gouvernementaux. Puisque ces questions affectent les domaines de compétences des acteurs États fédérés et des villes, il est préférable de le reconnaitre et d’agir en conséquence.

Article rédigé par:

Professeur à l’École nationale d’administration publique
Les opinions et les points de vue émis n’engagent que leurs auteurs et leurs autrices.