La fin de l’été marque le troisième anniversaire de l’abandon des efforts occidentaux visant à assurer la sécurité de l’Afghanistan et à promouvoir son développement. Ce retrait précipité a laissé un vide politique et militaire, comblé par les talibans, qui ont ensuite « célébré » la commémoration en promulguant une nouvelle loi sur l’invisibilité publique totale des femmes. L’Émirat islamique autoproclamé reste donc une plaie ouverte dans la politique mondiale qui, si elle continue à être ignorée, risque de provoquer des troubles chroniques pour ses habitants, ses voisins et la communauté internationale.
Contrairement aux attentes largement répandues immédiatement après la chute de Kaboul, l’économie afghane ne s’est pas effondrée. Malgré les conséquences de la cessation de l’aide internationale, du gel des réserves monétaires, de l’imposition de sanctions, de la réduction importante de la production d’opium et de l’exclusion des femmes de la population active, elle a fait preuve d’une certaine capacité d’adaptation. Réduite à environ deux tiers de sa taille antérieure, l’économie talibane est entrée dans une période de stagnation déflationniste stabilisée, où plus de deux Afghans sur trois luttent pour satisfaire leurs besoins fondamentaux. La combinaison de la pauvreté croissante, de l’isolement diplomatique et de l’impossibilité d’accéder à une éducation de qualité reste cependant une bombe à retardement pour ce pays, meurtri depuis des décennies, ainsi que pour les États qui devront accueillir et intégrer les futurs réfugiés afghans.
La répression sociopolitique et les restrictions brutales imposées aux femmes et aux jeunes filles violent les droits humains généralement reconnus et sont, à juste titre, au cœur des préoccupations internationales. Elles constituent une hypothèque sur l’avenir du pays, incompatible par nature avec l’objectif autoproclamé de créer une société où les sexes sont séparés.
Pour qu’un tel système d’économies parallèles fonctionne (quel que soit le jugement moral que l’on porte sur cet objectif), l’Afghanistan devrait surmonter une pénurie croissante de femmes éduquées et qualifiées dans « l’économie féminine ». Les décisions politiques d’aujourd’hui détermineront la capacité de demain à garantir que les infirmières, les femmes médecins, les enseignantes, les professeures et les autres professionnelles seront en mesure de servir et d’aider les filles et les femmes afghanes.
Dilemmes stratégiques en matière de développement
Il n’y a pas de bonne solution. Il est moralement répugnant de fermer les yeux sur un pays qui meurt de faim. Il est tout aussi répréhensible de soutenir un régime qui ne respecte même pas les normes les plus élémentaires en matière de droits humains et qui constitue une menace permanente pour la paix et la sécurité internationales. Face à ce dilemme, les partenaires du développement ont cherché à adopter une approche politiquement acceptable de l’aide humanitaire extrabudgétaire (via le Fonds d’affectation spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan), mise en œuvre par les Nations unies en dehors des budgets contrôlés par les talibans.
Cette assistance repose sur la Résolution 2664 (2022) du Conseil de sécurité des Nations unies, qui avait défini une exception humanitaire pour les avoirs gelés et les sanctions « nécessaires à l’acheminement en temps voulu de l’aide humanitaire ou à l’appui d’autres activités visant à répondre aux besoins essentiels ». Cette exemption avait, en effet, permis à la Banque mondiale d’adapter son « approche 3.0 », dans le cadre de laquelle des subventions sont accordées aux agences des Nations unies et à d’autres organisations internationales pour soutenir les services de base, en particulier ceux qui bénéficient aux femmes. Dans ce contexte, la reprise du Projet régional de transport et d’échange d’électricité entre l’Asie centrale et l’Asie du Sud (CASA-1000) est particulièrement importante, notamment parce qu’il relie quatre pays bénéficiaires à un consortium de financement composé de grandes banques multilatérales de développement et de partenaires internationaux du développement.
Ce projet place l’Afghanistan, qui manque d’électricité, au centre d’un projet international visant à transmettre l’énergie verte des centrales hydroélectriques du Tadjikistan et du Kirghizistan au Pakistan, en passant par son territoire. La construction étant presque achevée dans les trois pays d’origine et de destination, la pression s’exerce désormais sur Kaboul. Tout succès dans la coopération régionale pourrait devenir une brique solide pour une nouvelle fondation entre l’Afghanistan et le monde.
Les décisions politiques d’aujourd’hui détermineront la capacité de demain à garantir que les infirmières, les femmes médecins, les enseignantes, les professeures et les autres professionnelles seront en mesure de servir et d’aider les filles et les femmes afghanes.
Quelques discussions initiales
Certaines mesures prises par les autorités afghanes de facto ont déjà permis de se rapprocher des objectifs de la communauté internationale : la répression de la production d’opium et des exportations d’héroïne. Pour garantir la pérennité de ces mesures, il faudrait poursuivre les discussions sur les meilleurs moyens d’offrir aux agriculteurs des formes alternatives de revenus. La réforme des systèmes de paiement pourrait également être envisagée, car elle renforce la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Lors des réunions de Doha sur l’Afghanistan, organisées sous l’égide des Nations Unies à la fin du mois de juin, les talibans ont exprimé leur intérêt pour une réforme du secteur bancaire, considéré comme un obstacle majeur à la croissance du secteur privé et comme un pilier essentiel de leur lutte contre le trafic de drogue.
Bien que condamnées par les défenseurs des droits humains pour avoir exclu les femmes, les discussions de Doha ont été importantes dans la mesure où elles ont réuni, pour la première fois dans un cadre officiel, des acteurs clés des autorités de facto et de la communauté internationale. Ces réunions à huis clos ont permis à toutes les parties de clarifier leurs priorités, attentes et lignes rouges respectives. Cette première étape a été si importante que le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a réaffirmé son potentiel quelques jours plus tard, en encourageant les chefs d’État et de gouvernement réunis au Kazakhstan lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à veiller à ce que « tous les pays s’unissent pour empêcher l’Afghanistan de redevenir un foyer de terrorisme ». Ces derniers ont ensuite réaffirmé, dans la Déclaration d’Astana de l’OCS, que les États membres étaient « prêts à soutenir les efforts de la communauté internationale pour faciliter la paix et le développement dans ce pays ».
L’heure du « grand bargain », a-t-elle sonné ?
Les principaux sujets de préoccupation internationale pour l’Afghanistan sont clairs et comprennent – par ordre décroissant de complexité politique – la drogue, la pauvreté, le terrorisme, les droits humains et, surtout, les droits des femmes. Les gouvernements occidentaux et ceux représentés par l’OCS (qui comprend tous les voisins de l’Afghanistan à l’exception du Turkménistan, ainsi que la Chine, la Russie, l’Inde et les pays limitrophes de l’Asie centrale) tendent à partager l’objectif de soutenir le développement inclusif et durable d’un Afghanistan résilient et pacifique. Une telle « approche coordonnée au niveau mondial » concernant le régime de Kaboul, jusqu’ici non reconnu, créerait un environnement dans lequel les partenaires internationaux du développement pourraient fournir une aide humanitaire plus efficace, atteignant davantage de familles affamées et redonnant de l’espoir et des perspectives aux femmes enfermées.
À cet égard, l’Afghanistan apparaît comme un exemple exceptionnel, négligé dans le débat public, de convergence mondiale d’objectifs géopolitiques. En dehors des autres conflits actuellement hors de portée d’une solution diplomatique, un processus en deux étapes pourrait changer la situation complexe de l’Afghanistan de manière tangible, inclusive et durable. Tout d’abord, lors d’un sommet préparatoire coprésidé par les gouvernements occidentaux et ceux de l’OCS (mais sans celui de Kaboul), la communauté internationale s’accorderait et formulerait les termes d’un « grand bargain » pour l’Afghanistan (qui pourrait aboutir à une reconnaissance diplomatique ultime et à une assistance technique et financière correspondante). Ensuite, sur la base de ce poids politique et de ces conditions, une conférence mondiale sur l’avenir pacifique et inclusif de l’Afghanistan pourrait être organisée avec les talibans. Dans ce cas, les intérêts supérieurs de toutes les parties concernées vont dans le même sens.
Le point d’appui sur lequel pourraient se fonder les efforts diplomatiques serait l’acceptation de deux économies parallèles, séparées par sexe, au sein de l’Afghanistan. Chacune de ces économies aurait ses propres institutions de représentation et d’administration, permettant à chacun d’accéder à l’éducation, aux services de santé et aux possibilités d’emploi. Cette fois-ci, après plus de 180 ans de jeux d’épée infructueux de la part des puissances mondiales respectives de l’époque, le nœud gordien devra peut-être être dénoué, avec précaution et minutie, par le biais de la coopération mondiale. Toutefois, comme le suggère l’oracle, cet effort en vaudrait la peine.