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La Francophonie, entre l’intelligence artificielle et la gestion des coups d’État

Dans quelques jours, les 4 et 5 octobre prochains, la France accueillera le XIXe Sommet de la Francophonie, réunissant les 88 États et gouvernements membres et observateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Les autorités françaises convient la planète francophone autour du thème « Créer, innover, entreprendre en français ».

Les jours précédents et suivants sont aussi l’occasion pour la société civile francophone de se réunir et de tenter d’influencer les travaux et les prises de décision. La société civile de la Francophonie, c’est 128 ONG qui tissent des liens sur une base volontaire, souvent avec peu de moyens, et qui représentent vraiment la vitalité de la Francophonie et la solidarité des peuples ayant l’usage de la langue française en partage.

Créer, innover, entreprendre en français

Cette année, l’OIF et la présidence française ont priorisé l’éducation, la culture, le numérique et l’information. Le Sommet sera également l’occasion de réunir plus de 1500 acteurs économiques de plus de 100 pays dans un grand salon des innovations en français. Des partages d’expériences et d’initiatives témoigneront des ambitions et des réalisations de la communauté internationale sur l’intelligence artificielle, la cybersécurité, la transition énergétique, la logistique, la sécurité alimentaire et le financement de l’innovation. Il ne fait aucun doute que la solidarité francophone peut apporter sa contribution, même modeste, à ses nouveaux défis du monde moderne.

Par le passé, plusieurs Sommets ont conduit à de grandes réalisations et à des actions structurantes sur la scène internationale. En 1987, le Sommet de Québec a permis la création des Jeux de la Francophonie ainsi que de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD).

Au tournant des années 2000, lors des Sommets de Moncton (1999), Beyrouth (2002), Ouagadougou (2004) et Bucarest (2006), la diversité culturelle et linguistique fut au centre des discussions. Ces efforts ont permis l’adoption de la convention de 2005 de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, une des plus grandes victoires de la diplomatie québécoise.

Les Sommets de Kinshasa en 2012 et de Dakar en 2014 ont mobilisé les États sur la francophonie économique. Dix ans plus tard, les regroupements de gens d’affaires se sont approprié le concept et la pratique. Encore faut-il accélérer le mouvement pour éviter de tomber dans le piège du tourisme économique. Le dernier Sommet en 2022 (Djerba) a mis les enjeux du numérique et de la modernité au centre des discussions et a donné une impulsion à la question de la découvrabilité des contenus culturels. Ce fut également l’occasion de consolider l’initiative de sortie de crise de la COVID visant à créer le Fonds de la « Francophonie avec elles » qui soutient les femmes en situation de vulnérabilité.

Les défis

Parmi les nombreux défis qui vont aussi hanter les corridors du Grand Palais dans quelques jours, soulignons les questions suivantes :

Élargissement ou approfondissement

Comme à chaque sommet, des pays ou États fédérés veulent joindre les rangs de la Francophonie. La propension à vouloir accroître son membership n’est pas sans menacer la capacité de l’organisation à développer et livrer des programmes et mener des activités là où la langue française a un effet structurant sur la société et la communauté. Par le passé, les tenants de l’approfondissement ont questionné l’adhésion de certains pays comme les Émirats arabes unis et le Qatar à titre de membre associé ou l’Irlande et le Mexique, par exemple, à titre d’observateur. Cette année les acteurs du Sommet devront se pencher entre autres sur les candidatures de l’Angola et du Chili à titre de membre observateur ainsi que du Ghana comme membre de plein droit. À quand une vraie réflexion sur ce sujet qui n’est pas sans conséquence sur tous les dispositifs de gouvernance et le budget de l’organisation?

 

La propension à vouloir accroître son membership n’est pas sans menacer la capacité de l’organisation à développer et livrer des programmes et mener des activités là où la langue française a un effet structurant sur la société et la communauté.

L’éternelle question des visas

La question des visas contamine la solidarité francophone. C’est vrai pour plusieurs pays, mais encore plus pour le Québec qui doit s’en remettre à Immigration. Réfugiés, et Citoyenneté Canada (IRCC) pour l’émission des visas, que ce soit pour les étudiants, les chercheurs, les artistes et les gens d’affaires. Cette situation, largement décriée unanimement depuis de nombreuses années, affecte particulièrement les pays francophones d’Afrique, de l’Océan indien et des Caraïbes.

Il devient ardu de développer une francophonie vivante si on se bute à autant de freins à la mobilité que ce soit face à des refus de demandes ou à des délais de traitement inconcevables. Des modèles inspirants existent en Francophonie ou ailleurs comme par exemple le visa culturel Schengen en Europe, le passeport talent en France ou le visa Haalyu en Corée du Sud. Le Canada se présentera au Sommet avec cette mauvaise note à son dossier ce qui n’est pas sans affecter la réputation du Québec à cet égard.

La question des coups d’État

Les États et gouvernements membres ne peuvent plus faire l’autruche et balayer du revers de la main les ambitions fondamentales des déclarations de Bamako et de Saint-Boniface concernant la promotion de l’état de droit, de la démocratie et des droits de la personne. Depuis 2020, l’Afrique francophone a été témoin de sept coups d’État : un au Gabon, un au Niger, deux au Burkina Faso, un en Guinée et deux au Mali. Dans tous ces pays, les militaires se sont emparés du pouvoir, forment des dictatures, bafouent les institutions et les libertés fondamentales et dans certains cas, remettent les clés de la sécurité intérieure aux mercenaires russes de Wagner, à l’instar d’un autre membre de la Francophonie, la République centrafricaine.

C’est sans compter la guerre fratricide que se livrent la République démocratique du Congo et le Rwanda et surtout un des plus grand chaos politiques du monde moderne qui a cours présentement en Haïti. Il faut se questionner sur ce que la Francophonie peut faire en termes de contribution pour faire appliquer ses valeurs fondamentales et ses grandes ambitions en respectant ses textes fondateurs. Est-ce que le Sommet de cette année qui se tient en France, pays marqué par l’histoire de la France-Afrique, saura accoucher d’une feuille de route robuste pour démontrer que la Francophonie politique n’est pas une chimère?

Et le Québec

Le Québec est un joueur clé en Francophonie, il est parmi les bailleurs de fonds les plus importants avec la France, le Canada, la Fédération Wallonie Bruxelles et la Suisse. Compte tenu de la présence sur son territoire de nombreux acteurs et organisations liés de près ou de loin à la Francophonie, le Québec profite de nombreuses retombées en termes économiques et en termes d’image. Un rapport de Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT 2021) évalue que l’écosystème de la Francophonie au Québec a généré des retombées économiques de $258,4 millions, une contribution de $153,6 millions au PIB et des revenus pour les gouvernements de $44,5 millions pour les années 2016-2020.

Bien qu’on observe l’engagement des acteurs économiques et culturels qui organisent des évènements en sol québécois, on constate que le Québec a déjà été plus ambitieux. À titre d’exemple, les Sommets de 1987 et de 2008 se sont tenus à Québec. En 2010, lors du Sommet de Montreux, le premier ministre Jean Charest et le secrétaire général Abdou Diouf avaient convaincu toute la planète francophone qu’il était opportun de réfléchir et d’agir afin de propulser la langue française dans l’agenda international en accueillant à Québec en 2012 près de 2000 personnes de plus de 100 pays lors du premier Forum mondial sur l’avenir de la langue française.

Depuis quelques années, le Québec s’est fait le champion de la francophonie économique, de la bonne gouvernance et de la transparence. Mais le disque commence à être un peu usé. Que nous réservent la position et la présence du Québec à Paris en octobre? À suivre…

La Francophonie en chiffres

En 2022, on estimait que 321 millions de locuteurs francophones étaient présents sur tous les continents, bien au-delà de ses 88 États membres. La langue française est la 5e langue la plus parlée à l’échelle de la planète après l’anglais, le chinois, l’hindi et l’espagnol. C’est aussi la quatrième langue de l’internet après l’anglais, l’espagnol et l’arabe.

L’espace francophone compte pour 20% des échanges mondiaux de marchandises et abrite 14% des réserves mondiales de ressources minières et énergétiques. Depuis plus de 10 ans, tous les experts et démographes s’évertuent à redéfinir la galaxie francophone et font la démonstration que l’avenir de la Francophonie se joue en Afrique subsaharienne-Océan indien où les taux de progression des locuteurs quotidiens du français sont deux fois plus importants que dans le reste du monde.

 

Article rédigé par:

Professeur associé, HEC Montréal
Les opinions et les points de vue émis n’engagent que leurs auteurs et leurs autrices.

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