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Les COP ont-elles encore leur utilité ?

Il y a moins d’un an, en décembre 2022, Montréal accueillait la plus grande rencontre internationale sur la biodiversité de l’histoire, la COP15. Près de 20 000 délégué.es ont convergé vers la métropole pour finalement adopter le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal. Résultat de plusieurs mois de négociations et d’une mobilisation spectaculaire de la société civile montréalaise et québécoise, la COP15 sur la biodiversité a renforcé le positionnement de Montréal comme leader de la transition écologique.

Trois semaines plus tôt, une délégation impressionnante de Québécois et de Québécoises (communauté d’affaires, institutions, négociateurs.trices, représentant.es politiques et d’ONG confondus) était réunie à Charm El-Cheikh, en Égypte, pour la COP27. Comme elle en a l’habitude pour ces grands événements internationaux annuels, l’« équipe Québec » comptait (et de loin) le plus grand nombre de représentant.es au sein du contingent canadien.

Servent-elles à quelque chose, ces COP ? Y perdons-nous notre temps ? Leurs processus sont à ce point lourds et empêtrés, les résultats qui en découlent nous apparaissent si décevant au vu de l’ampleur des enjeux que plusieurs en remettent aujourd’hui en question l’utilité. Je me pose moi aussi ces questions, d’autant plus que celle qui se tiendra à Dubaï aux Émirats arabes unis au début décembre 2023 et sera présidée par le PDG d’une grande compagnie pétrolière et gazière. De quoi alimenter le cynisme ambiant.
Permettez-mois tout de même deux grandes réflexions :

  1. Mise en place par l’ONU au moment du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, en 1992, chacune des COP – les COP-climat, COP-biodiversité et COP-désertification – vise à répondre à des crises distinctes mais intimement liées. Celles-ci transcendent les frontières nationales. Même si certains sont plus importants que d’autres, aucun État ne peut les solutionner tout seul. Aux enjeux mondiaux, on doit apporter des réponses mondiales. C’est la base-même de l’existence des COP. Nous les abolirions aujourd’hui que réapparaîtrait aussitôt un fort besoin de coordination entre gouvernements et les autres acteurs du système.
  2. Par-delà leur volet ‘négociations’, les COP sont de véritables rendez-vous mondiaux durant lesquels des dizaines de milliers de spécialistes, organisations non gouvernementales (ONG), entreprises et acteurs de la finance convergent pour dialoguer et trouver des solutions à ces crises. Mais la COP28 de Dubaï, en décembre prochain, s’annonce comme une COP de la démesure, alors qu’on y attend plus de 70 000 participant.es, ce qui en ferait la plus fréquentée des COP de l’histoire.

 

Bref, oui, les COP sont utiles, indispensables même. Encore faut-il les fréquenter et s’en servir pour les bonnes raisons. Et aussi bien comprendre à quoi elles servent et en quoi elles sont liées.

Trois COP pour trois crises aux racines communes

Bien connues, les COP-climat se tiennent annuellement et servent à faire le point sur la lutte globale contre les changements climatiques et les mesures à prendre pour limiter leur progression et leurs impacts et s’y adapter. Cette année, à la COP28, il sera notamment question de rehausser le niveau d’ambition pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), l’adaptation aux changements climatiques et le financement de la transition, alors que le tant attendu Bilan global (Global Stocktake) nous révélera, sans surprise, que nous sommes bien loin du compte pour respecter les cibles de l’Accord de Paris.

Les COP-biodiversité gagnent en intérêt depuis les dernières années, alors que les preuves scientifiques démontrant un déclin rapide et dangereux de la biodiversité se multiplient. Tenues chaque deux ans, ces COP visent à faire le bilan des actions entreprises pour préserver la diversité biologique et à convenir de nouvelles cibles et mesures pour y parvenir. L’année dernière, à la COP15, ce sont 23 nouveaux objectifs à atteindre d’ici 2030 qui ont été adoptés. Le défi en est maintenant un de mise en œuvre, alors que beaucoup reste à faire, ici comme partout ailleurs… en peu de temps.

Beaucoup moins courues, mais tout aussi importantes, les COP-désertification se tiennent aussi aux deux ans et cherchent à contrer, voire à renverser la désertification, la dégradation des sols et la sécheresse, alors que plus de la moitié des terres agricoles de la planète sont actuellement dégradées. La COP15 sur la désertification, qui s’est tenue en mai 2022, en Côte d’Ivoire, a notamment soulevé l’importance d’assurer une meilleure synergie avec les travaux de la COP-climat et de la COP-biodiversité.

Cette recherche de synergies est aujourd’hui incontournable. Résoudre la crise climatique, la perte de biodiversité et la dégradation des terres ne peut se faire isolément. Ces crises sont intimement liées et s’accélèrent mutuellement. Elles partagent aussi plusieurs racines communes, profondément ancrées dans la manière dont nous organisons nos sociétés et nos valeurs, et structurons notre économie. C’est en nous attaquant à ces « causes sous-jacentes » que nous parviendrons à faire d’une pierre trois coups. Cela exigera des changements systémiques, une transformation profonde du monde dans lequel on vit. Et à l’instar de plusieurs spécialistes, j’ai la ferme conviction qu’une grande partie de la solution réside dans la révision de notre modèle économique actuel et de son impératif de croissance infinie dans un monde aux ressources finies, ainsi que dans la nécessité de placer le bien-être de toutes et tous au cœur de nos décisions collectives et individuelles et de nos politiques publiques.

Qu’on soit représentants gouvernementaux, ministres, chefs d’entreprise, conseillers d’organisations de la société civile ou chercheurs universitaires, on doit participer aux COP pour les bonnes raisons.

Les COP, bien plus que des négociations

Je suis toujours impressionnée par la mobilisation exceptionnelle de la société civile – et notamment la société civile québécoise – lors des COP. On y apprend des meilleures pratiques, on y fait le plein de bonnes idées et on y partage nos apprentissages et nos bons coups. Voir à l’œuvre une telle collaboration globale est tout simplement émouvant, surtout lorsqu’on peut faire réellement avancer des enjeux comme la transition juste, la transformation du système financier mondial, les transferts financiers aux pays les plus vulnérables ou encore les solutions aux causes sous-jacentes de la perte de biodiversité.

Cette collaboration entre gouvernements et société civile est essentielle, voire indispensable, puisque les pouvoirs publics ne pourront jamais, à eux seuls, répondre aux crises auxquelles nous faisons face. Qu’ils soient nationaux ou locaux, ces derniers doivent compter sur une société civile forte et engagée s’ils souhaitent atteindre et même dépasser (et cela sera nécessaire, la science nous le dit) leurs objectifs en matière de lutte contre les changements climatiques et de protection des terres et de la biodiversité.

Participer aux COP pour les bonnes raisons

Qu’on soit représentants gouvernementaux, ministres, chefs d’entreprise, conseillers d’organisations de la société civile ou chercheurs universitaires, on doit participer aux COP pour les bonnes raisons.
On ne saurait s’y rendre ‘en touriste’. Ce serait-là une perte de temps et de ressources, sans compter le bilan environnemental d’un tel déplacement. On doit s’y pointer en ayant en tête des objectifs clairs qui transcendent l’idée d’en ramener des contrats lucratifs. Selon moi, il serait indécent de songer à faire de l’argent sur le dos d’une planète qui brûle.


On s’y rend parce qu’on a quelque chose à partager avec les autres et parce qu’on veut apprendre des meilleurs. On s’y rend pour en revenir plus forts, pour avoir plus d’impact encore sur le terrain et pour lutter contre les crises environnementales. On s’y rend aussi pour réseauter, créer des alliances, prendre des décisions avec d’autres.


Alors là, oui, les COP servent à quelque chose. Tout comme les grands rendez-vous annuels nationaux et locaux comme le Sommet Climat Montréal, les COP nous permettent, à l’échelle mondiale, de débloquer de nombreux dossiers complexes, de réaliser des avancées, d’y prendre de grands engagements, de développer de nouvelles initiatives, de meilleures façons d’intervenir. Bien qu’elles soient des conférences très exigeantes, tant physiquement que mentalement, deux semaines intenses où on est plongé dans un véritable tourbillon de rencontres, de conférences et de discussions et où on dort peu et mal, nous en revenons toujours plus motivés, inspirés, forts des liens que nous y avons tissés et renforcés sur le terrain.


Ces liens peuvent s’avérer d’une richesse inestimable, essentiels au maintien de notre vivre-ensemble et nécessaires à la santé et au bien-être des générations présentes et futures. Ne serait-ce que pour ça, malgré sa démesure annoncée, la COP28 de Dubaï en décembre prochain peut encore nous faire avancer.

Article rédigé par:

Présidente fondatrice de COPTICOM
Les opinions et les points de vue émis n’engagent que leurs auteurs et leurs autrices.