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Les conséquences régionales et internationales de la crise Israël-Hamas

L’attaque lancée par le Hamas le 7 octobre contre de malheureux Israéliens vivant le long de la soi-disant infranchissable barrière séparant l’État hébreu de la prison à ciel ouvert de Gaza laissera inévitablement des marques indélébiles dans la région avec de possibles incidences mondiales. Et la libération d’otages israéliens et palestiniens ne modifiera pas cette trajectoire.

Même si les 1200 victimes juives des terroristes du Hamas ne justifient pas nécessairement les 14 000 victimes palestiniennes dues aux bombardements vengeurs israéliens, il n’en demeure pas moins que l’assaut contre l’État hébreu est une ignominie rappelant sinistrement les horreurs de la Shoah. Le conflit, d’abord israélo-arabe depuis la création de l’État d’Israël en 1948, s’est métamorphosé en combats répétés entre Israël et les résistances palestiniennes, tant du Hamas à Gaza que de Cisjordanie chaque jour amputée par les colons juifs illégalement implantés.

Assouvir une vengeance

La fin du conflit actuel surviendra quand Benjamin Netanyahou aura décidé que sa vengeance aura été assouvie. Alors il devra rendre compte de l’ineptie du service de renseignement israélien face à l’attaque du Hamas en raison des préoccupations du Mossad envers les tentatives du premier ministre de transformer le cadre constitutionnel d’Israël en sa faveur. Mais plus important encore, il devra répondre aux accusations croissantes de sa collusion avec le Hamas pour perpétuer le désaccord avec l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas et ainsi empêcher la création d’un État palestinien.

Mais à moyen terme, l’enjeu qui intéressera le plus tant les voisins arabes d’Israël que la plupart des pays intéressés de près ou de loin par la stabilité au Moyen-Orient, sera l’après-Gaza qui suscite déjà de profondes inquiétudes. La menace d’une réoccupation du territoire par Israël suscite de sérieux remous tant chez les pays arabes, fussent-ils satisfaits de la disparition du Hamas, que chez les Occidentaux inquiets devant le risque de reprise de violence contre l’envahisseur hébreu. Un nombre croissant de pays de la planète ont déjà suspendu ou atténué d’une manière ou d’une autre leurs relations diplomatiques avec Israël.

Plus inquiétant, l’avenir des Accords d’Abraham entre Israël et les pays arabes est en suspens, voire, menacé. Le fait même de la guerre à outrance que livre Netanyahou au Hamas est aux antipodes du concept de normalisation entre Juifs et Arabes, comme l’ont clairement affirmé les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc et comme le manifeste la colère populaire arabe. Mais pour l’instant, aucun de ces pays n’a coupé les ponts. Par ailleurs, la disparition du Hamas leur sied officieusement. Plus important, dans le contexte actuel, c’est le renouvellement d’intérêt de ces pays pour la cause palestinienne. Il est possible que la relance des accords d’Abraham serve la cause palestinienne, à condition que Netanyahou et ses acolytes ne soient plus au pouvoir.

L’enjeu qui intéressera le plus tant les voisins arabes d’Israël que la plupart des pays intéressés de près ou de loin par la stabilité au Moyen-Orient, sera l’après-Gaza qui suscite déjà de profondes inquiétudes.

Des réactions multiples

En revanche, du côté américain, la campagne électorale aux États-Unis risque de distraire une Maison-Blanche déjà obérée par la question brûlante de l’âge du président, l’empêchant de se consacrer davantage au Moyen-Orient. Politiquement, le soutien américain inconditionnel à Israël semble devoir lui coûter des voix. Le spectre d’un retour au pouvoir de Donald Trump ébranle le monde occidental.

La Turquie semble vouloir aussi se refaire une beauté politique auprès de ses collègues régionaux souvent bousculés par le fier-à-bras Erdogan, celui-ci déclenchant une diatribe enflammée contre Israël, retrouvant les accents virulents du passé. Par ailleurs, l’Iran doit se sentir plus en sécurité depuis que la Chine l’a réconcilié avec l’Arabie saoudite et qu’Israël ne peut guère risquer une guerre contre l’ennemi persan dans la situation actuelle, même si la menace israélo-américaine demeure permanente. L’Iran joue d’ailleurs la carte de la prudence et du rapprochement mesuré avec les pays arabes.

Mais ceux qui se distancent le plus d’Israël et de sa revanche sanglante, des milliers d’enfants morts, de la destruction colossale de Gaza, des souffrances intolérables des familles déchirées, ce sont les voisins, comme l’Égypte qui, si dictatorial soit son régime militaire, ne peut complètement ignorer la foule ulcérée, et encore moins la Jordanie dont la reine s’est exprimée à plusieurs fois pour condamner la brutalité israélienne, rappelant le sort inchangé des Palestiniens depuis 76 ans. Il y a aussi le Qatar dont le crédit remonte pour sa contribution aux négociations en vue de libérer les otages, même si ses relations durables avec le Hamas continuent de déranger. Le Qatar pose dans une certaine mesure la question d’un engagement plus généralisé des membres du Conseil de Coopération du Golfe dans la reconstruction de Gaza. Là encore se posera la question du rôle d’Israël dans tout effort de cette nature.

Pour d’autres pays, comme la Russie, le bouleversement au Moyen-Orient atténue l’attention et le soutien de l’Occident, notamment des États-Unis, à l’Ukraine même si les Européens ont renouvelé leur engagement de soutien matériel à Kiev et de progression de sa candidature à l’Union européenne, aspects clé auxquels s’ajoutent de nouveaux engagements d’aide militaire. Étonnamment, dans la logique russe, la guerre en Ukraine et la défense des Palestiniens puisent à la même doctrine : lutte contre le soi-disant régime nazi ukrainien et pour la liberté du peuple palestinien contre l’oppression israélienne. Compte tenu des relations bien établies entre Poutine et Netanyahou, la position russe relève de l’opportunisme et surtout de l’opposition aux États-Unis. Le Conseil de sécurité de l’ONU a finalement adopté une résolution en faveur de pauses et de corridors humanitaires dans Gaza … trop peu, trop tard mais mieux que rien, même si Netanyahou n’en tiendra pas compte.

Des conclusions peu rassurantes

En plongeant le regard dans une boule de cristal, on peut dégager des conclusions peu rassurantes :

  1. Netanyahou ignorera totalement les appels à une transition rapide de Gaza vers son affranchissement de la tutelle israélienne.
  2. Il niera toute responsabilité pour les failles de son service de renseignement face à l’attaque du 7 octobre par le Hamas et s’insurgera contre les accusations de plus en plus précises à son endroit comme ayant traité ce mouvement en partenaire aux dépens de Mahmoud Abbas et de la création d’un État palestinien.
  3. Il rejettera tout appel à la création d’un État palestinien, soutenant que tant que les Gazaouis n’auront pas été ‘’rééduqués’’, la menace restera trop grande pour permettre un autre arrangement politique que l’occupation renouvelée du territoire, à court et même moyen terme. La colonisation en Cisjordanie s’accélérera à mesure que la campagne électorale aux États-Unis réduira le champ de vision américain.
  4. Les Américains en pleine campagne présidentielle abdiqueront toute responsabilité envers une transition autre que le contrôle indéterminé d’Israël sur Gaza.
  5. La question sera l’étendue de l’aide humanitaire et de reconstruction dans l’esprit de la conférence du 9 novembre du président Emmanuel Macron, l’Union européenne ayant traditionnellement couvert l’aspect économique de la coopération avec la Palestine. Autre question subsidiaire : l’Iran jouera-t-il un rôle dans le dossier reconstruction, ne serait-ce que pour ne pas perdre son investissement de longue durée dans Gaza? Compte tenu de l’énormité des défis de reconstruction, l’argent aura encore moins d’odeur qu’ailleurs.

 

Comme disait Leonard Cohen: do you want it darker?

Article rédigé par:

Université d’Ottawa
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